2007/11/11

Des romans monde pour peupler une chambre à Duisburg

Jouant avec des personnages, des situations, des lieux, un roman constitue la présentation d'un petit monde. Une grande part de la qualité d'un livre est même associée, d'une certaine manière, à la constitution de ce monde. Un bon livre aura su tisser un environnement cohérent, fonctionnant dans sa logique, et mettant en mouvement une série de figure qui auront pris vie. Et ce, pourrait-on dire, indépendamment du sujet lui-même, dans la mesure où ce monde joliment mis en scène sera toujours à même de s'avérer intéressant à la lecture.

Pourquoi alors ai-je envie de parler de "livres monde" ?

Considérant cette mise en scène d'un monde comme acquise, nécessaire à tout bon livre, je souhaite plutôt utiliser ici le mot monde pour évoquer l'échelle du théâtre présenté. Tout roman construit son petit monde, mais certains présentent surtout une poignée de personnages dans un environnement restreint, sur une centaine de pages à peine. Il faudrait alors plutôt parler de rue, de village, pour donner une bonne idée du monde établi pour le livre. Un gros plan sur le monde, dont il est souvent difficile de connaître les contours précis. On peut ainsi penser à certains des courts romans français que j'ai lus récemment, dont le largeur de vue n'embrasse pas grand chose de plus que le petit couple évoqué.

C'est bien entendu totalement différent pour certains gros pavés, les ambitieux projets qui manipulent toute une batterie de personnages, évoluant dans des lieux variés, sur une période s'étendant plusieurs années durant. Le monde créé peut regarder sa taille sur la toise posée au mur, et constaté son ampleur : oui, il n'est pas loin d'un monde à lui tout seul, au moins un roman pays.

Je ne me risquerais pas à juger l'ampleur de tous ces classiques que je n'ai pas encore lus, ces volumineux romans du XIXème siècle, par exemple, que je n'ai pas encore affrontés. Sans pour autant parler de certaines sagas de science-fiction étirées en tomes et volumes renouvelés, je peux évoquer, bien entendu, "Les Misérables", et sa cohorte de personnages évoluant tout au long du siècle, de l'enfance au mariage, sur deux générations. Il y a même bien plus de deux générations dans le Macondo de "Cien años de soledad", aux inventions incessantes, aux guerres révolutionnaires, industries bananières et ébats multiples. Véritablement de petits mondes à explorer longuement, comme les nombres univers, qui contiennent, par définition, tous les numéros de téléphone du monde.

Ainsi, de tels romans monde me paraissent tout particulièrement adéquats pour les lectures d'une expatriation de quelques mois. Quand le cinéma et le théâtre ne parlent pas la même langue que moi, que les concerts se font plus rares dans une ville industrielle allemande que dans la capitale française, qu'il y a moins d'amis avec qui discuter devant une salade landaise ou un verre de punch, la lecture se prête à de nouveaux rythmes, et peut affronter la longueur d'un monde avec plus de réussite. L'an passé, j'ai ainsi profité de mes deux mois à Duisburg pour goûter à Ulysses de James Joyce.

J'ai ainsi constitué quelques réserves en vue des cinq mois de mon retour à Duisburg. Bien entendu, il est un peu difficile de présumer de l'ampleur mondiale d'un livre avant sa lecture, mais ce club des cinq me paraît composé de jolis candidats.

  • Les Bienveillantes, Jonathan Littel, 2006, 903pages
    900 pages pour faire vivre l'ensemble de la Deuxième Guerre mondiale du point de vue des bourreaux.

  • What a carve up!, Jonathan Coe, 1995, 498pages
    Les années Thatcher présentées à travers l'histoire d'une famille huppée.

  • L'homme sans qualité, Tome 1, Robert Musil, 1931, 864pages
    Le livre monument de Robert Musil, multipliant hypothèses à travers de plusieurs personnages. Et ouvert comme le monde, car l'entreprise est restée inachevée au bout de ses presque 1600 pages...

  • Angels in America I & II, Tony Kushner, 1992, 304pages
    La pièce monument de Tony Kushner, évoquant les destins de plusieurs couples durant les années 80, au creux de la montée du sida. Six heures de pièces vues sur Avignon cet été, en polonais, et la lecture en américain devrait apporter une dimension supplémentaire à ce monde : la transcription de la langue orale, une grande force de la pièce, semble-t-il.

  • Gravity's rainbow, Thomas Pynchon, 1973, 784 pages
    Oeuvre comparée par son ampleur à l'Ulysses de Joyce, récompensée par le National Book Award et même d'un prix de "meilleur livre de la décennie". Profil idéal de roman monde, par conséquent, et je veux préserver une part de surprise pour sa lecture...

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