2007/07/26

Baptême de Festival d'Avignon (in)

samedi 21/07/2007
Angels in America I & II (Tony Kushner).
mis en scène par Krzysztof Warlikowski, en polonais surtitré

Assis les yeux fermés au cinquième rang, il est une heure du matin.
Assis au P-ième rang, une couche de vêtements en moins, il est 23h.
Ou dans l'ombre d'une rue presque vide, totalement silencieuse, à 3h.

Tant de mouvements intérieurs durant la soirée, grande expérience, et néanmoins, je commencerai toujours mon récit, assurément, en parlant d'

une pièce de six heures en polonais

Concentrer et réduire, formule frappante, mais à enrichir et colorer aussitôt, car réduire et passer à côté. D'une riche fresque aux personnages multiples, profonds, ballottés et hurlants et dures, presque tous. Un long ruban aux accents classiques, tragiques, de nombreux tableaux aux figures familières, aux thèmes sans époques, la mort, la mère, l'ange, le rêve, la vision, le fantôme, et tous ces éléments éprouvés distribués dans des tableaux et des mots modernes, des thématiques contemporaines et rattachées fidèlement aux années 80, le sida, les yuppies, l'homosexualité, Reagan et ses républicains. Une longue histoire déroulée sur six heures, donc, ou presque, durant lesquelles les fils se tendent, se croisent et se tissent, durant lesquelles le récit coule et les mots s'échangent violents, mais forts et puissants, souvent, un chemin d'ombre où le son redescend et les rideaux se relèvent à la fin pour des voix douces et sereines dans les derniers instants. Six heures riches pour, d'une certaine manière, un grand classique de notre temps, grand texte.

Il fait frais sous la brise contenue par les bâtiments de cet espace carré et beaucoup s'enroulent dans des couvertures bleues tout au long des gradins.

Des éclats visuels parsemant l'espace et les heures, le texte et les situations enrobées de papiers, de toile, de lumière et de mousse pour dessiner des images marquantes et esthétiques. Des panneaux en miroirs troubles tout autour du plateau, métalliques et à la vague lueur, impressions de carré bleu et de taches rouges, un carré de jeu ainsi un peu plus grand entre les murs. De la neige tombant des projecteurs, billes blanches encore et encore pulvérisées sous le noir du ciel aux quelques étoiles, le ciel au-dessus de la scène de théâtre, le ciel ! Un lit et des membres épars, une chaise où les jambes se croisent nerveuses en tailleur et les mains se tordent regard instable. Une femme en velours rouge immobile, des cheveux brisés et des canapés d'amours pleins de malaise, des tableaux et tableaux visuels et mettant toujours en valeur les figures humaines, ces personnages aux postures et attitudes et regards pénétrants, touchants, remuants. Des peintures, des peintures faisant sens et étalant des traces qui s'infiltrent dans l'esprit, des images recouvertes de couleurs mobiles qui caressent la mémoire pour diffuser sans mots la tonalité et une grande part des impressions ressenties, un long défilement.

Six heures du début à la fin, avec ses courtes pauses. Passage dans la cour et la piste d'athlétisme où l'on fume, boit un café, croque des pommes et grignote des tuiles aux amandes. Et les pauses intérieures, les monologues personnels et parallèles, car l'imagination s'égare parfois mais qu'importe puisque elle se déroule elle aussi et réagit, rebondit et s'anime, c'est agréable. Savoir accepter les détours intimes et détendre un peu sa concentration sans se crisper car c'est un spectacle de course de fond, une suite d'instants et de temps à gérer sans vrai plateau homogène de A à Z. Il y a un plaisir à réagir ainsi. Se sentir un peu riche soi aussi, capable de penser à elle, à eux, à une idée ou à ce que l'on pourrait écrire, et l'éloignement de la connection n'a plus trop d'importance quand on réalise de petites découvertes, et réveille son émerveillement propre en écho de l'émerveillement suscité par le spectacle.

Au son des paroles polonaises portant une trame américaine. De personnes qui se lèvent pour sortir prématurément car il est tard.

Et des paroles à l'éclat limpide et doux qui se déroulent soudain sereines à la suite de tableaux ténébreux et vénéneux, et magie, équilibre, leur gamme ne semble pas incongrue étirée sur une ligne de huit fauteuils tout près, devant la scène, finalement.

Plonger alors dans la rue grise aux pierres éteintes et aux affiches endormies, toujours la même douceur sereine persiste, et l'on pourra chanter tranquillement en accompagnement de David Bowie pour les quarante-cinq minutes de trajet automobile du retour.

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