2007/08/29

Romeo and Juliet drawned under the Oxford rain

On dit que le mieux est l'ennemi du bien, et parfois, c'est vrai, tu sais.

Pourquoi cette après-midi a-t-elle été so British jusqu'au bout, ne pouvait-elle pas laisser de côté un de ses aspects ? Tout s'était étonnamment assemblé, comme je te l'avais dit, la troupe du Globe en tournée à Oxford juste la semaine où je m'y trouvais, un rêve d'amateur de théâtre qui prenait forme. Voir Romeo & Juliet en anglais, c'est beau, présenté par la troupe du Shakespear's Globe Theatre, quelle chance, et le tout servi sur un plateau au coeur d'un College d'Oxford, mazette. Concentré d'Union Jack à l'heure du thé.

Don't worry, it won't rain, la veille dame derrière nous avait l'air tellement sûr d'elle.

Et

If I profane with my unworthiest hand
This holy shrine, the gentle pain is this:

Il pleut des cordes, les trombes d'eau se réveillent juste avant le baiser de Romeo et Juliet et les parapluies se déplient, les gens recroquevillés en tailleurs sous la fine toile, les comédiens trempés sur scène, de toute façon je ne les vois plus trop, cachés par les parapluies du premier rang.

Et tout naturellement, quarante minutes plus tard à l'entracte, une jeune fille en K-way vient annoncer l'interruption de la pièce. Vous pourrez revenir gratuitement à une autre séance, ne vous inquiétez pas. Mais hélas, je ne peux pas.

Quelle histoire.
Car, par delà la réunion de grands symboles britanniques, la mise en scène proposée était des plus prometteuses. Le cadre, une pelouse dans le Wadham College, un plateau comme dessiné sur le sol, délimité par deux poteaux avec lumière pour les représentations en soirée, et le public assis au niveau des comédiens, sur des couvertures ou sur ses chaises pliantes anglo-saxonne possédant sur l'accoudoir un compartiment pour un verre. J'étais pour ma part installé sur la serviette blanche du Magdalene : Pam me proposait tous les matins de me la changer, il fallait bien en profiter, n'est-ce pas ?

Et sans crier gare, les comédiens surgissaient de la porte latérale du van Volkswagen placé en fond de scène. Les voici essoufflés, remplis de l'énergie de la scène d'ouverture, à moins d'un mètre de nous, lançant les rythmes superbes des vers shakespeariens. Ils courent sur scène, s'empoignent tels les Capulet et les Montague dans une foule immense de huit personnes.

Et Romeo s'exclame l'accent écossais tranché, les r roulés jusqu'au bout et les ou, des ou différents, pas des ou anglais, je ne saurais comment te les imiter.

Et Juliet, entrant sur scène portant un vague T-shirt blanc et un short salopette en jean, et sa nourrice lui enlève pour la réception et Juliet porte dessous un micro short rose en éponge sur lequel elle passe une robe plus présentable. Tout en gardant son T-shirt. Jolie petite chose désinvolte et immature.

Oh, miracle, les comédiens passent dans la foule, marchent au milieu de nous, et Romeo adresse sa tirade à la jeune fille devant moi.

Quel dommage que le regard de Romeo se trouve perdu derrière les parapluies quand il se fait le plus subtile, le plus délicat, ce regard d'amour à la première vision quand il aperçoit Juliet, ce regard d'une belle justesse offert par la comédien à une foule qui regarde alors le ciel ou ses pieds qui fondent peu à peu sous l'onde.

Le déchaînement de l'amour détrempé sous les chats et les chiens qui tombent.

Alors, il y aura bien une jolie scène du balcon, la scène du balcon, avec Juliet penchée par le toit ouvrant du Volkswagen, quelle bonne idée. Malgré les costumes et les jeans transpercés, les cheveux de Romeo éparpillés, en dépit des femmes du premier rang levant toujours plus haut leurs parapluies dessus leur tête, malgré ses tirades dont je ne comprends pas un mot, je me souviendrai de ce moment. Une belle image de théâtre, découvrir derrière le rideau de la vitre arrière du van la nourrice, rappelant Juliet à l'ordre penchée par le toit ouvrant.

Ensuite, le mariage et le meurtre ont été par trop inondés, hélas, et il a fallu plier bagages.
Le programme négocié en compensation ne compense pas grand chose.
Mais, l'un dans l'autre, cette pluie rend bien l'anecdote plus pittoresque, tu ne trouves pas ?

15/08/2007 Wadham College, Oxford - Romeo & Juliet (Shakespear's Globe)

2007/08/27

The best cooky

May 2007, New York City, Upper West Side


August 2007, Oxford, Ben's cookies, in Leadenhall Market

2007/08/26

Rock en Seine, quelle night

24 août 2007 - Rock en Seine - Parc de St Cloud

Oh Oh ohohoh oh ohoh OhohohOhoh

23h, la grande pelouse du Parc de St Cloud résonne pour le rappel d'Arcade Fire. Wake up, la foule bondit et chacun hurle faux la série de ohOh, pour conclure en beauté ce concert gigantesque. Arcade Fire, champions des meilleurs concerts de tous les temps : leur prestation à Rock en Seine avait été magique en 2005, ils planent encore très haut cette année en tête d'affiche.

Arcade Fire qui sort encore du lot, et pourtant, l'affiche de ce vendredi est d'une densité impressionnante. Les concerts d'ouverture à 16h ont été ainsi donnés par Dizzee Rascal, puis Mogwaï, connus pour être des tous petits groupes de première partie...

Et dès 17h45 arrivait M.I.A. sur la deuxième. Un personnage fort de la scène musicale, anglaise d'origine Srilankaise dont le père joue les terroristes, elle nourrit ses interviews de réflexions sur les relations nord-sud, sur l'intégration des communautés en Angleterre, sur le piètre niveau des occidentaux pour la vraie danse folle en club. Elle pose son débit de chant sur d'énormes basses et percussions, un rap engagé très très dansant. Son deuxième album vient de sortir, et la presse le décrit comme le son le plus ambitieux de l'année.

Ce qui frappe rapidement, chez M.I.A., c'est l'originalité des ses goûts visuels. Des couleurs vives, mélangées, c'était le cas dans ses vidéos, la toile violette tendue sur scène de St Cloud le confirme, et son costume de scène renforce l'impression. Collants or, énorme lunette de soleil, et un bustier en or et orange en guirlande de Noël. Un look fort, porté tout le long de la scène par son engagement dans la danse. Ses jambes toutes fines sont toujours pliées, la poussant souvent en flexions presque intégrale, en pas de danses chassés sur la largeur, des mouvements de mains, des ondulations. Quelques morceaux peu connus par le public font baisser un peu l'ambiance, mais la danse irrigue souvent la foule, portés par les samples de mitraillettes, de poulets, de tam-tam, de tout ce sur quoi on peut taper, de musique Bollywood. M.I.A. finit dans la foule pour ce grand concert, même si la taille de la scène dilue un peu son intensité.
C'est le problème d'un tel festival, qui grossit année après année. Les scènes sont larges, massives, le son énorme rend difficile la finesse, les foules sans fin sur de grandes pelouses. Pas évident de générer un peu d'intensité, d'échange avec le public. Les Shins sont un exemple de concert finalement assez moyen. Ils ont été lâchés sur l'immense scène principale, et ils alignent leurs mignonnes chansons pop avec application, mais le décalage ne s'efface pas . Que vient faire sur un tel monstre de scène un groupe aux petites mélodies que l'on chérit dans sa chambre d'adolescent ? Les tubes sont tous là, Australia , So say I, Kissingthe Lipless, mais le groupe ne génère pas vraiment d'enthousiasme par son activité, par sa présence sur scène, ils blaguent entre les morceaux comme on le ferait devant cent personnes, mais cela sonne creux face à une telle foule. Ce n'est pas ainsi que The Shins peut changer votre vie, rôle attribué par des films indépendants comme Garden State.

Dans ce cas, la deuxième scène est peut-être une chance, comme le montre Emilie Simon. Elle génère une bien plus grande densité, une force transmise par sa musique dense, par l'originalité des tenues, des instruments sur scène, des choix musicaux, par les tensions qui tire l'énergie vers le haut. Emilie, botte noires dessous une robe blanche à étoiles noires, épaules nus, voix claire et parfaitement posée, la chanteuse parfaite et sensuelle, et dès sur scène, elle empoigne une guitare bleue ciel pour la faire hurler électrique et répétitive. Des riffs durs, des rythmiques électroniques marquées fournies par un personnage à cape, haut de forme et cheveux longs, une contrebasse, un percussionniste qui tape sur une caisse, dans un saladier d'eau, sur les cordes d'un piano à queue, c'est une musique riche, plein d'engagement des différents musiciens, mêlant la finesse de poèmes sur les fleurs aux agressions rock de guitare et de beat techno. This is modern rock, finesse de la voix au milieu des répétitions et des sons durs et agencés, et ça fonctionne, la prestation fascine jusque dans les reprises choisies, Peter Gabriel, I wanna be your dog hypnotique, et un final d'Emilie seule au piano pour un grand Come as you are.

Des reprises de rock dure poussées dans tous les sens, ce serait un peu l'idéal d'un festival des années 2000, offrir des confrontations de style, et des citations, des clins d'oeil. En allant à Rock en Seine, il est difficile de ne pas solliciter des images provenant de festivals héroïques, des Woodstock, des Glastonbury et autres festivals anglais, les meilleurs avec boue, public au look dément, bottes en caoutchouc sur mini jupe et coupe punk, foule qui saute en tout sens. Rock en Seine, on a notre mini-festival anglais à cinq minutes de Paris. Mini mare de boue, merci à la pluie des jours précédents, et un public aux tenues originales. La grosse séparation se fait entre les porteurs de tongs et les partisans des bottes en caoutchouc, certaines au décorations roses à fleurs, le dernier tiers des chaussures appartenant plutôt à la famille convers/chaussures sans talons, pour aller avec le jean et la coupe garage rock prisée par les lycéens. Et bien entendu, une poignée de personnages un peu plus spectaculaires... Mais, pour un bon festival rock à l'anglaise, il faut avoir un passage très dansant pour voir une foule sautant d'un seul bloc. Rock en Seine avait eu les Chemical Brothers en 2004, ou Vitalic l'an passé, et cette année, cela a été les grands 2manydjs, pionniers des bastards mix dans les années 2001. Mixer Nirvanan et des tubes techno, idéal pour un festival orienté rock, et le début de mix propose YMCA des Village People : ti tutu titudidu tidudu. Enfin, c'est ce à quoi à s'attend le public, après un premier jaillissement du seul ti caractéristique. Et là, les 2manydjs placent d'emblée la barre très haut, puisqu'ils étirent sur plusieurs minutes ce premier motif, en boucles hypnotiques et frustrantes qu'ils dévoilent tout doucement, font progresser peu à peu, jouant avec les envies du public, la boucle ti, ti, ti, ti, ti t, ti t, ti t, ti t, ti tu, ti tu, ti tu, montée progressive et très lente, portée par une énorme basse façon Benny Benassi. C'est fantastique, les deux DJs passent d'une platine à l'autre, s'échangent les casques, règlent ces boucles qui durent une poignée de secondes. D'ailleurs, pas plus de 3 secondes de cette intro de YMCA n'auront été utilisées...
Le public répond peu à peu aux élans électroniques des 2manydjs, et la transe dansante gagne la foule pendant que la nuit descend. Les 2manydjs sont plus sobres que sur leur disque As heard on radio Soulwax vol.2 (50 samples en 70 minutes, allant de Michael Jackson à Bassement Jaxx...), plus électroniques, avec simplement quelques saillies rock introduites avec classe. On entend donc deux fois Justice, forcément, nous sommes en 2007, mais aussi Sweet Dreams d'Eurythmics, Joe le Taxi par un manequin japonais, et surtout, Rebellion (lies) d'Arcade Fire et Marcia Bailla des Rita Mitsouko. Deux groupes présents à Rock en Seine, jolis clins d'oeil, et le dance floor salue de ses fumigènes.

Mais cet enthousiasme pour Rebellion (lies) est surtout symbole de la focalisation faite sur Arcade Fire, têtes d'affiche de cette première journée. Entendant ce titre entre deux bombes électro, une partie de la foule s'eclipse pour rejoindre la scène principale...

Arcade Fire, c'est essentiellement pour eux que j'ai pris une place pour ce vendredi. Leur concert de 2005, une épiphanie, un grand moment d'émotion, l'idéal d'un engagement parfait sur scène, avec changement d'instruments, percussions sur un casque sur une tête rousse, et une douzaine de moments qui m'ont donné les larmes aux yeux, soit une douzaine de fois plus que pour mes concerts les plus marquants.

Je ne sais pas trop quoi attendre. Je n'ai pas acheté leur deuxième album, n'en ai écouté qu'une poignée d'extraits, la peur certainement d'être déçu.

Et, bien entendu, je suis plus loin de la scène qu'en 2005.

Un orgue sur scène, des bibles en néon sur le fond, et "Keep the car running" en entrée, puis "No car go". En voiture.

La présence n'a pas disparu. L'engagement de chacun. L'intensité, la puissance d'émotion associée à l'énergie, ils semblent même meilleurs dans leur approche des anciens morceaux, maîtrisés et libérés à la fois, enrichis par la présence de deux cuivres, généralement des cors. Ils ont fait du chemin, ils s'en servent pour se laisser porter plus encore dans leurs assemblages à dix sur scène. Dix prenant un plaisir manifeste dans leur engagement, au service de ces chansons mélancoliques et s'appropriant chacun leur message pour se porter avec leur instrument.
Comme il y a deux ans, une des violonistes chante en jouant, alors qu'elle n'a pas de micro.

Arcade Fire, c'est un rock de troupe, une troupe de théâtre où à chaque instant les musiciens jouent tous ensemble tous les morceaux. Des personnages, serais-je tenté de dire, mais ils ne prennent pas la pose, c'est simplement leur personnalité, dirait-on, qui se libère sur scène dans leur engagement. L'organiste excité aux cheveux agités. Le guitariste roux qui parfois frappe follement sur tambours et lance son tambourin. Les deux violonistes, dansant sans arrêt, chantant, à cour. Le batteur qui laisse sa place sur la fin pour glisser vers un autre instrument. Les deux joueurs de cor, de saxophone, de trompette. Et le couple centrale, Win à la guitare, cheveux trempés de sueur, voix investie pour offrir ses parols pleines de crainte en grattant férocement sa guitare, et Régine, cheveux bouclés et petite robe rose, allant de l'orgue à la batterie en passant par l'accordéon, remuante, pétillante. Quel groupe.

Le premier album s'appelait Funeral, composé au milieu de plusieurs deuils des musiciens. Les chansons étaient inquiètes mais terriblement lyriques, hurlées, car c'est ainsi qu'on lutte, qu'on continue. Le deuxième album est moins immédiat, plus profond, plus fort en richesse suggérée, plus doux et plus désespéré aussi, plus varié, semble-t-il. Le groupe a visé de nouvelles, osant le dépouillement parfois, une guitare acoustique, quelques percussions. Simples, mais capables de créer une atmosphère pour une foule de plusieurs milliers de personnes, capable de reprendre Age of Consent de New Order en version acoustique, avec classe.

La foule chante et bat de mains encore et encore, il est 23h15 mais tous chantent fort si fort Wake up.

2007/08/25

I buy books in English when I am in English speaking countries

UK, August 2006

  • Terry Pratchett, Reaper Man
  • Bob Dylan, Chronicles, Tome 1
  • E.M. Forster, Howard Ends
USA, May 2007
  • Philppe Roth, The Plot against America
  • Thomas Pynchon, Gravity Rainbow
UK, August 2007
  • Tony Kushner, Angels in America (Part one: Millenium Approaches, Part two: Perestroika)
  • Arthur Pinter, The Betrayal (used)
  • Samuel Beckett, Krapp's last tape and Embers (used)
  • John Keats, Selected Poetry (used)
  • Anthony Burges, A Clockwork Orange (used)
  • John Peel, Margrave of the marshes

2007/08/23

Shakespeare Avignonnais

23/08/2007 – Le Roi Lear – Cour du Palais des Papes – Avignon

Fermer les yeux une fois encore, juste une minute, ou deux. Laisser couler la musique des mots dans l’ombre, cette fluide et jeune traduction d’une langue splendide, un fond, un air qui se déroule sans que je le comprenne totalement, mais la parole théâtrale reste agréable abstraite par ses beautés rythmiques. Flottement d’avant le sommeil. Au milieu d’une foule.

Soulever les paupières
et
Saisi par la force des tableaux sur la scène, couleurs, présences, espace. Espace, y a-t-il espace théâtral plus puissant ?

Vivre la soirée en flashs impressionnistes, en saisissements, intenses, en sensations éparses. Par la grâce du spectacle reçu, et la force surprenante du décor, le décor dans sa plus vaste expression, le décor de ma soirée depuis l’attente d’avant spectacle jusqu’à la marche nocturne enivrée pour rentrer. Je vis de nouveau une grande soirée de théâtre car une soirée intense et totale et fascinante.

Assis à 20h sur l’esplanade jaune, et j’écris face à un horizon de foule et de théâtre de rue, et, au loin, la présence éclatante du Palais sous le ciel sombre.

Puis une queue plus excitante qu’une simple file, au plus près des pierres anciennes aux teintes sages, prenant place dans ce vaste groupe de spectateurs passionnés, toute une vie et une authenticité, culturelle, architecturale, canalisées par quelques barrières vauban.

Et attendre encore sur l’escalier de pierre, près des pavés et d’une lourde porte de bois, et glisser doucement dans un palais.

Un temple investi par des entrelacs d’échafaudages, terribles poutres métalliques et chemins de planches qui zigzaguent, le squelette à panneaux et numéros d’entrées au milieu des limites d’une cour grandiose.

Des couloirs et des arcades jusqu’à des toilettes presque incongrues, envahies par une longue file féminine. Petite galerie vers les sanitaires où l’on ne passe qu’à deux de front, et où on ne passe alors qu’à un car les femmes attendent nombreuses. Difficile de sortir donc car les hommes se pressent de rentrer, cela va bientôt commencer, et ils proclament leur Pardon pour s’infiltrer, mais au bout de trois, je refuse ce pardon d’un coup d’épaule, pardon, non, laissez-moi sortir. Ce doit être l’excitation.

Rang ZD sur le bord, côté jardin. Trentième rang, et deux seulement derrière moi.

Mais quelle aspiration de l’endroit.
Pente forte des gradins bondés
Toute une largeur de scène dépouillée
simple rectangle rouge d’étoffe
et quelques personnes debout
Et derrière
Toute la verticalité d’un mur de pierre
à peine percé de quelques fenêtres sombres ou projecteurs
et retenir son souffle
Malgré une douce lassitude, la fatigue d’un festival. Il faudra picorer, mais picorer enthousiaste.

Une vague d’exclamation sur toute la surface du public devant moi. Ca commence ? C’est le début d’une pluie fine, quelques minutes avant les trois coups.

Les silhouettes se lèvent, la masse de foule ondule en toile imperméable, capuches et parapluies, et se déforme, monte peu à peu pour se mettre à l’abri. Je suis haut, mais je fais partie des deux ranges abrités par une planche.

La météo locale prévoit trente minutes d’averse, le spectacle sera donc reporté d’au moins trente minutes, restez dans les parages, résonne un haut-parleur. Et ils se décident enfin à ranger la toile rouge sur la scène, déjà parcourue d’éclats humides pendant que tout le monde monte vers les rangs élevés qui tremblent.

Prendre des photos des parapluies au flash, puis fermer les yeux, profitant du temps mort.

Au bout de quarante minutes, le tremblement métallique se fait redescente et réinstallation, face aux planches de bois sombre d’imprégnation, de la large tenture rouge luisante.

Tout sur scène peut commencer, et commence vite et brutalement !

Car le coup de théâtre est instantané, la tension immédiate, la déstabilisation surgit initiale et la pièce découle toute entière de ce nœud d’intrigue au premier regard. N’en savoir rien auparavant, et j’en prends conscience surpris, peu à peu, incertain, face au défilé de couples isolés sur le grand carré rouge. Le Roi Lear découpe son royaume et distribue par chantage d’amour filial, et l’estrade en pente tendue de rouge dessine une carte immense aux vagues de vent, où les puissants du monde se tiennent debout et seuls chefs.

Et survient ce rien. Le rien évoqué avec respect et émerveillement par les critiques, les metteurs en scène, les connaisseurs du théâtre. Un rien pivot de pièce.
Que peux-tu dire à ton roi, pour montrer que tu m’aimes plus que mes sœurs ?
Rien.
Toute la sécheresse fascinante d’une réponse honnête et abrupte.

La royauté bascule, la mascarade, la cour, les personnages s’agitent tout autour du carré rouge, ils apparaissent même descendant les allées des gradins, élargissant encore cet espace de jeu immense. Le jeu s’infiltre partout, et qu’importe si on l’entend mal. Les perles visuelles commencent à s’enfiler le long du fil nocturne, même si certaines s’éloignent parfois de mon esprit fatigué.

Des robes en vase de velours épais retournés.

Des pages qui courent, s’agitent, courent, se pressent sur toute la longueur, sauts, se pressent, petits bons, et tournent, pour bientôt revenir après avoir fait le tour.

Et un bâtard. Et un traître. Et un demi-frère en fuite.

Le rectangle de bois incliné révèle ses trappes où les coureurs plongent et d’où les chasseurs surgissent. Quel émerveillement.

Le roi envoie son émissaire et il se dispute et se fait emprisonner, monte au ciel hissé par ses chaînes, il flotte par-dessus la scène, tourne en tout sens et tête en bas, léger, fragile et magnifique.

Débarque le fou du roi sur une scène dépouillée, le roi à jardin et un homme à cour, rien de plus, et le fou soutient de longues minutes une scène euphorique en répétant simplement ça va, ça va au roi, ça va, ça va, variations sur les ça va, ça va au public, ça va aux acteurs, ça va, ça va, ça va au mur vertical.

Mais le roi glisse seul, sans plus aucune terre, ni pouvoir, une couronne juste posée sur la tête mais en simple couvre-chef. Les filles l’abandonnent même, aucun toit pour l’accueillir, la nuit, et le voici flottant dans la nature dépouillée, quelques planches de bois penché sans tour, avec un fou pour toute suite. Ils marchent instables, les pieds titubant, et ils ne parlent plus sous la tempête qui approche. Ils soufflent. Grognent. Doucement, puis explosent peu à peu. Ils sont la tempête, ils hurlent le tonnerre extatique, transe de folie, déchaînée, ils appellent la foudre et la font claquer en raclements déments de gorge.

La folie invoquée dans la furie.

Le roi perd pied et d’autres également, un fils légitime en fuite prétendant l’idiotie, se cachant derrière les cendres étalées sur son corps et son torse, faussement hébété.

Et son père qui le chassait se trouve pris lui aussi dans le complot, accusé de trahison maintenant. Il pourchassait son fils et on le capture, et l’aveugle, lui transperçant un œil, puis l’autre malgré les interventions, torture en plein centre de la scène. Gloucester nouvel aveugle hurle et déambule, pantin branlant, trébuche dans un dédale, des montagnes, échafaudages, scène déstructurée en obstacles, il tombe dans le vide bras tendus et on le rattrape en bas, et il repart, tombant encore. Une danse mécanique et sans vue sur les largeurs de la scène quand les autres dialoguent encore.

Voici l’entracte.

Depuis une demi-heure des personnes quittent leur place, craignant certainement un spectacle sans coupure. Ils se lèvent par un ou deux, montent vers le haut, tout en haut, et une ouvreuse doit les poursuivre pour les guider vers la bonne sortie. Leurs pas font résonner les planches quand ils empruntent l’allée devant les plus hautes places, la mienne, leurs têtes zébrant le spectacle sur scène.

Mais beaucoup restent, éparpillés sur le pas du Palais, petits groupes posés dans l’ombre sur les pierres aux arrêtes rondes, en surplomb d’une esplanade vide à une heure du matin. On croque un biscuit, discute la mie en scène et ce travail qu’on apprécie, en songeant à cette couverture bleue qu’on va saisir même si le vent s’est calmé depuis le week-end. Je vais encore fermer les yeux, mais tous les grappillages vont être délicieux.

Alors on s’assoit gourmant pour la reprise, la laine bleue étendue sur les genoux, et on sourit, ravi de redécouvrir la scène de m-ième rang, merci aux fuyards de l’entracte. Les comédiens sont plus grands et offrent de nouveaux détails dans cette nouvelle perspective.

La batterie plus visible, la musique qui se déplace au grès des scènes sur les estrades de l’ancien plateau divisé en parts. Et les parts se déplacent même, elles roulent et le plateau ainsi respire et danse de ses échafaudages. Il sait se dépouiller pour offrir la force complète et nue de son espace large et immense.

Deux hommes à pas prudents, toutes petites avancées en se tenant, un précipice tout près, un ravin, la falaise, la tension de mouvements minuscules au cœur d’un plateau bien solide, et ils marchent sur leur fil en murmurant, en micro apartés. Gloucester veut se suicider. Guide-moi à la côte. Il écarte l’autre, son fils, qui joue le jeu, qui l’a sauvé en le menant au milieu d’une plaine. Les bras écartés pour garder l’équilibre jusqu’au bout, au bord de l’abyme supposée, imaginée, espérée, Gloucester va sauter dans le vide mais c’est un plateau solide et il ne risque rien, même pas le personnage, en fait, mais quelle grandeur peut prendre un aveugle au centre d’une si grande scène dans l’ombre.

Gloucester vit donc encore.

Et se trouve aspiré dans la bataille, poupée molle à nouveau ballottée sous les chars des combattants et généraux qui se chargent en musique, et la scène s’anime de tout côté, des tréteaux mobiles et corps traçant des figures, et si, à la fin, certains meurent étendus sur des draps rouges, le couronnement dans la pièce appelle des vagues d’applaudissements pour saluer toute cette série de tableaux.

Et tous glissent dans le fantôme gris des rues de trois heures du matin en souriant.

2007/08/22

CCTV in London

Map...

Millenium Bridge and Tate Modern

South Bank, near the London Bridge

Leadenhall Market

The Gherkin

near Liverpool Station

Brick Lane

St Pancrass Station

King's Cross Station

2007/08/09

Revoir un film au cinéma

2007/08/07

Une soirée tout en plan séquence

Lundi 30/07/2007 - Soirée à Emporter #1 - La Flèche d'Or

Un concert parisien en plein été, les horaires souples permettent d'arriver en avance, et dès 18h30, quelques groupes passent devant la Flèche d'Or, allant vite acheter un sandwich, et prendre place dans la queue qui se forme peu à peu. Devant les parkings à vélo, puis rejoignant la baraque de chantier, et le coin de la rue, puis tournant, assurément. Les poussettes doivent se frayer un passage sur le trottoir étroit totalement rempli dès 19h30, et la foule se densifie avec les retardataires qui arrivent. Certains ont envoyé des éclaireurs, et la fille assise sur la barrière abandonne son livre quand arrive son copain.

Même ceux présents sur la liste des invités ne semblent pas certains d'entrer, et la foule se faufile quand les portes s'ouvrent peu après 20h, déposant sacs à la consigne et rejoignant l'intérieur. Un panneau blanc invite le public à s'asseoir sur le canapé placé sur la scène, dans le dos des trois tabourets hauts rouges placés au premier rang. C'est une jolie foule, souriante, car entrée, et impatiente, que vont-ils inventer, et la musique se lance bien entendu par une traversée de la salle depuis le jardin.

Guitare acoustique à la main, Jeremy Warmsley traverse le public depuis l'extérieur, une caméra dans son dos, des preneurs de son, et on le suit jusqu'au coin opposé. Il termine sa chanson entouré d'un cercle, exhibant les épaisses montures noires de ses lunettes, souvent remises en place au milieu du morceau, et son torse paraît instable sous son énergie, son T-shirt noir aux trois lignes de poissons roses, jaunes et bleues, et ses bretelles arc-en-ciel. Jeremy se glisse pâle derrière le clavier encore plus lové dans le fond, dans le coin, et il poursuit sa distribution musicale charismatique, ses chansons aux paroles claires, doucement soutenue par des notes de piano au rythme s'accélérant, par une guitare fièrement grattée. Deux filles se glissent au premier rang, et on peut les apercevoir au premier rang fumant sur la vidéo.

Applaudissement, un regard sur l'Apollon doré qui se promène derrière la vitre, en haut, et les bières se distribuent au bar, les premières tournées, mais déjà on nous invite à nous asseoir, car arrive Sparrow House, prenant place sur un des tabourets rouges au centre de la salle. Le public s'assied cahotiquement, pris par surprise, passer d'un foule verticale serrée à des petits espaces assis, personne n'occupe le même volume debout et assis au sol. Le son est instable, quelques réglages, et un panneau s'agite près de l'entrée, invitant à "Aider les artistes, achetez leurs disques". Sparrow House caresse sa guitare, agite sa mèche au dessus de sa chemise, mais le son passe mal derrière les rangs de personnes non assises. D'ailleurs, après quelques chemins, un break est proclamé, peut-être y a-t-il de l'ordre et des réglages à faire.

Les instruments naviguent par dessus le public qui est assis sur la scène, des musiciens se faufilent vers les tabouret, et on nous annonce une chanson des années 60. Sparrow House et Jeremy Warsmley entre les chemises à carreaux des deux Inlets, et un air inimitable s'élève, soulevant des murmures ravis, et les filles s'exclament "oh c'est trop beau". On s'assoit légers, serrées, touchant chaque fois la cuisse de sa voisin pour trouver de la place, et je rêve, je flotte, car ne rêve-t-on pas quand on entend "God only knows" en concert ? Tout le monde retient son souffle face à ses mélodies douces et instables, et hurle de joie ravi à la fin.

Des applaudissements qui lancent Inlets, sa guitare, et sa voix seule, maniant des notes légères, des harmonies élevées à elle toute seule, la continuité parfaite du fantôme des Beach Boys. Très doux, et chaque morceau se voit salué par le public sans hésitation, au milieu d'une lumière rouge, on se croirait dans un unplugged MTV. L'apport d'un trombone en sourdine donne plus de volume, équilibre dans mon esprit ce musique émotive.

Et le fil de l'émotion se soutient, se déroule, d'une épaisseur variable, s'effilochant le long de cette soirée volontairement fragile et instable. Émotive, plutôt minimale dans ses procédés, mais la simplicité offre des possibilités d'amplitude comme le montre Sidi Ali, accompagné par les Inlets au banjo et au trombone, par Zach Condon à la trompette. Sidi Ali sample et superpose de petits motifs de guitare, à peine deux ou trois, profonds, espacés, une musique et une chant intégrant les silences, la douceur du rythme, un murmure en rythme à peine suramplifié. Construire et étendre, voici une musique qui prend son temps et comprime son énergie, son émotion, I love you when you're drunk, et même, plus tard, sa voix se superpose plusieurs fois grâce aux enregistreur, et c'est superbe. Nouvelle retenue de souffle.

Et le souffle n'a pas le temps de revenir qu'il est saisi par surprise, voici Sébastien Schuller en invité surprise, portant la même casquette et le même T-shirt qu'en juillet à la Maroquinerie. Sidi Ali gratte doucement un ukulélé, hypnotique, une boucle qu'il n'enregistre pas et ne cesse de jouer, et Sébastien Schuller se penche, offrant la pureté de son Weeping Willow et de sa voix claire. La rougeur des lampes entoure tout le monde dans ce cocon de musique et de voix, sans durée, sans rapport avec le monde qui bouge, juste pour nous et éternel, et les quelques éclats électriques de guitare de Sidi Ali sur la fin nous emporte tous. Quelle magie !

On ne veut pas arrêter d'en parler encore, encore, comment partager une telle puissance, peut-être en bavardant un peu avec un voisin qui l'a vu aussi à la Maroquinerie, n'a pas aimé Animal Collective alors, et s'interroge sur !!! quand il aperçoit leur T-shirt. Mais impossible d'analyser sans s'enflammer encore, trouver un peu d'euphorie dans la moindre référence, d'autant que la suite passe par David-Ivar Hermane Düne, encore de la magie, une superbe voix, des mélodies.

On le découvre assis sur le bar, testant une guitare muette, et pour combler le silence il parle. "J'ai connu la Blogothèque quand Vincent Moon m'a proposé de me filmer dans une machine à laver. Je ne connais rien au cinéma, et je ne savais pas trop ce que tout cela donnerait, quand je le voyais bougeait dans tous les sens autour de moi. Mais quand j'ai vu le résultat, j'ai trouvé cela très beau. En fait, moi j'aime bien le cinéma. Je suis allé voir Transformers, et j'ai bien aimé, même s'il y a un contenu politique auquel je n'adhère par vraiment. Déjà, il y a un adolescent qui se balade durant tout le film avec le T-shirt des Strokes, et ça, ça me plaît. Et puis les robots ont l'air vrais. Bien que je dois être vieux, car les combats bougent trop vite, je ne suis pas capable de suivre. Enfin, j'ai vu aussi les Simpsons, et je n'ai pas trop aimé, surtout parce que en général, j'aime bien les Simpsons. Je parle un peu en attendant qu'ils mettent le son de la guitare, mais je vais pouvoir commencer. Mes deux films préférés sont Vertigo et E.T. Alors je vais vous chanter une chanson qui parle un peu de cinéma, puisqu'elle évoque ces deux films."
This is not where they shot Vertigo, This is not where they shot E.T., But he just wants to live where she lives, So take him back to New York City.
"Encore une ?"
"Ah, et encore une, je ne peux pas terminer sur une chanson trop triste"

Et le dernier métro oblige certains à partir, à s'échapper devant la trentaine de personnes faisant toujours la queue dehors à presque minuit. Peut-être auront-ils pu voir les folies tardives...

2007/08/05

Le CD, marchandise à la magie bradée

Vendredi soir, passage au Virgin Megastore des Champs-Elysées

1500 CD à 6,99€ !

Des étalages cartonnés à rayures vertes et roses, éparpillés dans les allées sans classement. Standards de jazz face à la variété françaises, les auteurs sans ordre, sans époque, tout distribué, des blocs cartonnés temporaires ajoutés dans les allées, médiocres stands épars où tout est vendu aux quatre vents pour le prix d'un single.

Tant de titres, un tarif si dérisoire. Des albums riches et profonds, inépuisables, pour le prix d'un hamburger et d'une grande frite. Tonight's the night et Harvest de Neil Young, Forever Changes de Love, Unknown Pleasure et Closer de Joy Division, Fun House des Stooges, Ocean Rain, Seventeen Seconds des Cure, The Velvet Underground and Nico, XO d'Eliott Smith, Live at Leeds des Who, Vespertine de Bjork, Berlin de Lou Reed, New York 1919 de John Cale, Different Class de Pulp, les albums solo de Scott Walker, The Ideal Crash de dEUS, Station to Station et Ziggy Stardust de David Bowie, LCD Soundsystem : poser son regard sur n'importe quel étalage discount en carton, et être saisi par un album majeur de l'histoire de rock. Une foule d'échappés des tops 250 de tous les temps.

Et personne ne semblait surpris. Cette grande musique populaire comme tombée du camion, les gens ne réagissaient pas.

J'ai eu mal à l'industrie musicale.

Pourtant, une grande partie de ma collection de disques est constituée d'exemplaires en promotion. Berlin, The Velvet Underground, Joy Division, My Bloody Valentine, Eliott Smith, Come on feel the Illinoise de Sufjan Stevens, achetés neufs tarif démarque. Mais plutôt autour de 10€, au milieu d'un choix d'à peine une centaine de titres, réduits exceptionnellement : sensation de faire une bonne affaire, d'avoir déniché une pépite isolée, d'avoir su être réactif. Pas de servir à délester des stocks de 1500 références.

Des bouts de plastiques, trop d'abondance, ouvrez les caisses sans même sortir des cartons, et le consommateur se servira dans la palette.
Vendredi, les CD m'ont semblé laids.

Dix jours plus tôt, je parcourais des stocks de vinyles sur les stands des jeudis de Nîmes. Larges étuis cartonnés et fins, au format étrange pour l'auditeur du XXIème siècle. Live at Leeds des Who vibrait dans sa pochette sous mes doigts, le meilleur live rock de tous les temps peut-être, sans photo sur sa couverture, juste une couleur beige, et son charme était magnifique.

Je vais finir par m'acheter une platine vinyle.

Promenade à Gibert en juin, et fouiller dans les bacs à vyniles, leur grande taille muystérieuse, leur douceur, et passer la main encore et encore sur la couverture d'Eraser de Tom York, ses lignes noires en surépaisseur sur fond blancs, la présence de l'objet, son caractère.

Retrouver cette séduction dans l'album Hollinndagain, live d'Animal Collective, réédition CD d'un album vynil publié à 300 exemplaires. Le CD se présente comme un emballage de vynile en miniature, cartonnée, dépliable, le CD est présenté dans une fine pochette en plastique. Savoir prendre le temps de concevoir un joli CD, pas simplement une ligne de milliers de boîtes plastiques qui casseront au premier transport, car il y a du plaisir à approcher d'un tel objet, à l'apprivoiser, à explorer les présentoirs d'une boutique à échelle d'amateur de musique.

Un disquaire, un vrai, comme celui parcouru en mai à New York.

Boutique de petite taille, ouvrant à midi seulement. Des tracts face à l'entrée, ribambelles de flyers, pour un peu partout en ville, certainement. Dans les rayons, es intercallaires désignant les artistes ont été écrites à la main, marqueur noir, avec des ruses pour les noms longs, comme une symbole de coeur, ou des commentaires, pour Siouxsie. Au dessus de la caisse, ardoise veleda proposant les concerts en réservation, bruns, noir, !!! le 31 mai à $17. Les CD d'occasion, les used, glissés sous blisters épais fermés à la main avec du ruban adhésif. L'esprit Virgin est loin.

Et les hauts-parleurs diffusent une musique mystérieus, certainement pas une nouveauté, un trésor caché, assurément. La passion, la passion dans les petites notes de présentation, une douzaine de lignes au moins en faible police, encore rétrécie quand il y a plus à dire, des notices souriant en parsemant les critiques de référence indépendantes, chefs d'oeuvres n'ayant parfois même pas un an, vivants, des notices chuchotées à l'oreille après avoir posé la main sur l'épaule du client.
Le rayon used est étonnament dense sans fausse note, pas de stocks énormes de gros vendeurs, le seul disque d'occasion présent est un Pavement.
La sélection des nouveautés articulent des goûts sûrs, Animal Collective, The Field, LCD Soundystem, Panda Bear, Bright Eyes, Menomena, TV on the Radio, Peter Bjorn and John, Xiu Xiu, et les gros vendeurs indépendants sont aussi présents sans notice, ils n'en ont pas besoin, Arcade Fire, Arctic Monkeys.
Certainement quelques perles rares éparpillées, Brigitte Bardot, de la pop japonaise, un rayon Then Music débutant par A Certain Ratio, un gros rayon Psychedilic & Krautrock.
Superbe mur de vyniles affichés au mur, avec même des occasions, des singles rares.

Les deux vendeurs roux n'étaient peut-être pas les anges d'Other Music, mais je ne les oublierai pas.

Tellement loin des 1500 références à 6.99€.

Vendredi, je suis tout de même reparti avec Ziggy Stardust et LCD Soundsystem, qui restent de grands disques. Et, leur individualité retrouvée loin des présentoirs d'Ed l'épicier, les pochettes sont redevenues belles.

2007/08/01

La ratatouille est bien mon plat préféré

Qu'est-ce qui peut susciter un tel enthousiasme de ma part pour Ratatouille, a priori exemple caractéristique du film mastodonte estival ?
Le grand public sera satisfait, il se verra offrir le divertissement qu'il est venu chercher. Je dois bien être honnête, une telle attente de divertissement de la part du grand public m'inquiète généralement. Le nivellement par le bas associé au terme "grand public", hélas.
Et je dois bien être honnête, le critique sévère ne sera pas déçu, il pourra dénicher quelques défauts typiques du genre. Deux ou trois raccourcis de scénarios, qui fusionnent en une scène deux événements à la coïncidence suspecte. Soucis du rythme, disons. En parlant de rythme, quelques séquences sont peut-être un poil répétitives : inventives dans leurs variations, mais pas forcément nécessaire. L'esthétique du Paris présenté donnera du grain à moudre pour ceux dénonçant la sous-culture américaine, ses clichés pour seuls repères internationaux. Et la machine hollywoodienne se verra épinglée pour sa tentation morale, son classique prends-ta-vie-en-main-petit.

Mais il faut toute de même être un peu attentif, ce film n'est pas un manuel des écueils du film à gros budget. Ici, ces défauts ne concernent pas 90% du film, comme pour certains ogres pétomanes...

Car la grande force de Ratatouille, c'est sa créativité. Son enchaînement de surprises, de rythme, de personnages, de vraie qualité cinématographique suscitant un vrai émerveillement. Nous n'avons pas là une simple pellicule servant à la décompression et à la disponibilité d'esprit post-sortie du bureau.

A mon sens, Ratatouille est une oeuvre exemplaire de ce que devrait être tout dessin animé moderne. Les studios feraient bien de prendre des notes durant la projection, de télécharger des versions sur Internet, et de regarder encore et encore...

Pourquoi parler de dessin animé moderne ? Tentons de présenter mon sentiment de non spécialiste. La modernité tient bien entendu à l'animation générée par ordinateur. Puissance des machines et tailles des budgets, les films sont chaque années superbes, mais chaque année plus détaillés. Toy Story et Shrek ont ouvert la brèche : tout peut être tenté, toutes les fantaisies visuelles rendues crédibles, et générer un gros succès.

Or, qu'obtient souvent ? Des produits. Le nombre des sorties annuelles de films d'animations a explosé ces quelques dernières années, et l'on retrouve toujours les mêmes recettes, la même veine parodique, les mêmes gags scatophiles soit disant irrévérencieux, de détournements répétés des mêmes fleurons culturels bateaux.
Des produits. Sans rythme, sans intensité, sans personnage. De vagues suites de sketchs. Même pas le niveau d'un histoire improvisée pour le petit neveu qui n'arrive pas à dormir.

Quel gâchis d'outils splendides.

Ne vous bridez pas sur l'histoire, sur la volonté de suivre un personnage, des personnages et de les voir évoluer. Pas seulement balancer des archétypes que l'ont dénouera par un cliché, sans aucun cheminement. Tisser la trame avec différents niveaux de personnages, des principaux, riches, un peu pensés, multiples, avec un contenu, une chair. Capables de générer un peu de sentiments, de créer une vraie présence. Une présence. Des personnages et pas des pions.
Bien sûr, garder quelques pions également, ces personnages secondaires qui viendront colorer, plus que faire la foule. Mais ne pas en faire des prétextes, de simples pochettes surprises à gags que l'on jette une fois balancée la réplique façon Grosses Têtes.
Ratatouille possède toute une galerie de personnages, certes assez tranchés, cela doit pouvoir être intégré rapidement par un public jeune. Mais tous dégagent une vraie existence, portent de vraies mimiques. Ils évoluent avec une véritable justesse, terme théâtral s'il en est. La justesse.

Car Ratatouille n'est pas un produit mais un film. Avec une certaine démarche cinématographique, une recherche et un respect de ce que l'on montre sur un écran. Pas un simple animé télé.
Il y a le jeu des acteurs, une belle direction, une mise en scène, il n'y a pas d'autre mot. Il y a de magnifiques mouvements de caméra, une superbe sensation de flottement, de légèreté. La caméra évolue librement puisque qu'elle est virtuelle, alors, enfin, on la voit tracer des courbes et boucles, changer de rythmes, tout en ruptures maîtrisés et belles. Ne bridez pas l'outil, le budget est conséquent, et il est rassurant de voir qu'il a été vraiment utilisé dans la gestion visuelle.

Ratatouille utilise complètement l'outil informatique et la liberté sans trop de bornes qu'il doit offrir. Les mouvements. La stylisation. La fantaisie. Un outil véritablement au service de l'univers choisi. Où les voitures ont des échelles étranges, très stylisées. Où les humains sont plus caricaturaux que les rats, petits animaux tellement mignons à côté des clowns humains. Où la farce, la théâtralité, la bande dessinée se voient mis en jeu.
Ratatouille, je me laisse emporter, mais c'est une oeuvre totale, très moderne dans son utilisation du patrimoine. Qui s'approprie les canons du dessin animé, les courses poursuites avec souris, qui respecte ces jeux. Qui joue avec les motifs de films de genre, l'exode du film catastrophe, la noirceur du film de résistant, la comédie romantique. Bien plus fort qu'un banal name-dropping, que des redites passe-partout de scènes célèbres, presque bande annonce, d'où ne sort qu'un goût de culture de masse ultra-diffusée.

Car la plus grande réussite de Ratatouille, c'est son mélange de réel et d'extrême stylisation. Il est fascinant de voir le soucis du détail, la densité des rues, le phare d'une Twingo garée en arrière-plan, les richesse des ingrédients de la cuisine, la documentation précise ayant sous-tendue sa reconstitution précise, allant jusqu'à la dénonciation de la misogynie des cuisines. D'une certaine manière, dans sa minutie, Ratatouille est un petit disciple de certaines pages de Georges Pérec, par exemple des Choses.
Et en parallèle, l'inventivité formelle est parfois poussé très loin pour un dessin animé destiné à un jeune public. Les visions des Rémy, sa conscience sous les traits du patriarche culinaire, poupée ronde et qui se fond un peu partout, malléable, multiple. Et surtout, une scène restera longtemps gravée dans mon esprit, presque psychédélique, une mise en scène visuelle de la synesthésie, serai-je tenté de dire. Et cela dans une salle comble pleine de gamins, où une petite fille de 5 ans jouait à cache-cache devant le premier rang !
Ratatouille, à sa manière, c'est un témoin de notre époque, à la fois dans ses détails et dans ses représentations métaphoriques. Un peu comme les meilleurs Spirou et Fantasio de Franquin sont de grands documents populaires des années 60, entre Mercedes chromées parfaitement dessinées et marsupilami.

Ratatouille, c'est la victoire d'une création ciselée avec passion.

Bon sang, je n'ai pas une miette du talent nécessaire, c'est le genre de film que je rêve de réaliser !

Regardons encore un peu les couples modernes

Quelques livres à comparer au ressenti...

  1. L'éléphant s'évapore - Haruki Murakami
  2. Vivons heureux sans en avoir l'air (M Jean, tome 4) - Dupuy / Berberian
  3. La vie comme elle vient (Lapinot, tome 8) - Lewis Trondheim
  4. Apprendre à finir - Laurent Mauvinier
  5. Anielka - François Taillandier
  6. Les choses - Georges Pérec
  7. Fuir - Jean-Philippe Toussaint
  8. La mort de Carlos Gardel - Antonio Lobo Antunes
  9. What we talk about when we talk about love - Raymond Carver
  10. Asiles de fous - Régis Jauffret
  11. Last exit to Brooklyn - Hubert Selby Jr