2007/07/29

Retour en TGV avec des airs de post-punk dans la tête

From: Cathead Le William-North <lewilliamnorth@gmail.com>
Date: 29 juil. 2007 18:30
Subject: Retour en TGV avec des airs de post-punk dans la tête
To: Marie-Posa

Coucou Marie-Posa,

Comme promis, dès le TGV du retour, me voici t'écrivant un message. Et comme prévu, beaucoup d'images à transmettre et de souvenirs à raconter. Cela ne laisse pas énormément de place pour prendre de tes nouvelles, tu m'en vois désolé. Le plus simple sera que je te téléphone, rien de mieux pour un peu plus de dialogue... (mais j'espère que tu vas bien, hein)

D'autant que les derniers jours ont été plutôt intenses, particulièrement intérieurement, et que le besoin d'y mettre un peu d'ordre se fait sentir. Cela risque d'être un peu long à nouveau, mais, parfois, c'est assez justifié. Je l'espère !

Enfin, allons-y.

On pourrait commencer par samedi matin et cette phrase parfaitement synthétique : Mais qu'est-ce que je fous là ?

Quai TER après bus vide dans Marseille s'éveillant, TER tout droit vers Miramas. Compartiment de huit où une femme feuillette le même Libération que le mien, où un jeune homme ébouriffé en costume sombre dort en position foetale sur deux places. Pas de nuages mais pas vraiment de paysage non plus le long des voies. Où sont les calanques et les baignades dans la mer claire ?

Et samedi après-midi, plus perdu encore, tu sais, filtrer, rincer, laver l'eau de la piscine, et empoigner le sable gris à la main, manche du T-shirt blanc souillé, vider les bassines d'eau trouble sur une pente de garage, et chlore en poudre, dosette, presque cup, règle de trois, joint trop lâche et vanne à boule baillante, rouleau de Téflon blanc pour habiller les pas des vis et lancer à terre des rubans riant un peu plus fort. Samedi après-midi eau de javel et piscine privative de 1,20m de profondeur, sauvons l'eau fraîchement versée la veille et traitons-la. Samedi après-midi épongeant dans le garage, après le samedi matin à la médiathèque pour rassembler quelques anciens numéros du Monde et un exemplaire prometteur de Géo.

Où s'écoule l'utopie du vendredi, le patio étudiant au milieu des montagnes, les langues étrangères qui se mélangent, les chemins se faufilant lovés entre les buissons et les pierres blanches, les belvédères, plages qui se glissent coquines dans une mer joyeuse, les pique-niques, les discussions nocturnes ?
Où ?
Que sont mes calanques devenues ?

Les utopies survivent-elles au départ, y croit-on encore ?

Samedi, je relève la tête de l'utopie du vendredi et de son oreiller doux, et le front heurte le week-end quotidien et répété. Cri ! La banalité frappe le rêve, voici le premier cri du punk, et je hurle en punk ce samedi.
JE HAIS LES COUPLES QUI SE RAPPELLENT (chéri) QUAND JE SUIS SEUL, JE LES HAIS TOUT COURT.
Je sen le punk irriguer mes frémissements, gonflant fièrement ma poitrine au T-shirt marque de bière, mes chaussures aux lacets non noués, ma barbe hirsute de festivalier. Mes lunettes noires portées dans la maison. Je suis punk et je ne chante plus, j'éructe, c'est ainsi qu'il faut dire, j'éructe.
I'M LIVING IN THIS MOVIE BUT IT DOESN'T MOVE ME BOREDOM BOREDOM.

Puis je me rappelle que le punk est mort en 1978. Regardons mieux, soyons plus serein. Qu'y a-t-il devant moi, en ce samedi ?

Un pavillon fraîchement emménagé, plein d'espaces en promesses de vies futures et d'instants partagés à deux, et, peut-être un joue, à plus. Des photos aux murs, des endroits beaux et des visites ensemble, c'est un couple heureux, ravi d'être à deux comme une légère caresse sur le bras ou une main doucement posée sur la cuisse en voiture. Un bonheur jeune qui s'installe et note peu à peu le process, un couple qui s'embrasse, se tient la main dans les rues piétonnes et sur les places à fontaine au milieu des façades jaunes. Ils sourient et murmurent, ils se sourient.

Mais où est le problème ? Kein problem ! Juste un couple comme dans le film Lemming, d'une certaine manière, jeune, dans une belle maison moderne, un mari ingénieur avec une belle situation et une femme en transition professionnelle, et, point essentiel, ils s'aiment. Un couple, c'est la vie. Ils s'aiment, and so what ?

Tu vois, en y songeant, c'est surtout moi qui ait du mal à me positionner face aux couples installés quand je leur rend visite. On en avait déjà un peu parlé tous les deux, il me semble. Plaisir de discuter avec des amis, avec leur copain ou leur copine, mais je ne me sens pas toujours détendu face à leur vie à deux. Leur quotidien, leurs habitudes, leurs projets. Je ne sais pas trop comme dire, en fait. Léger malaise de célibataire étudiant longue durée. Perplexité. Incrédulité. Peut-être ça, perplexité polie.

Et donc une certaine distance dans mon empathie, même assez légère.

Par conséquent, punk ne correspond pas vraiment à la situation. Le modèle du choc entre utopie et réalité me paraît toujours valide, mais sans trop de violence, sans révolte. Plutôt une distance, oui, un profond sentiment d'indépendance, mon indépendance, rester fidèle à mes rêves, même si, c'est certain, ils sont moins ambitieux, moins huilés, moins durables que ceux d'une vie à deux qui continue à construire. Avoir entendu le choc bousculant l'utopie et le réflexe de révolte, et en préserver l'esprit, mais avec le sourire, lucide aussi sur mes propres imperfections. Ne plus sentir le besoin de hurler pour faire éclater les vitres propres et les échelles de piscine, mais danser, danser comme eux font la ronde en souriant, eux tous, je danse à leurs côtés, mon rythme est simplement un peu déphasé.

Accepter ainsi une attitude post-punk.

Le vent du dégoût n'avait pas beaucoup plus de justesse que la mélodie du bonheur qui l'avait réveillé, alors je n'en garde que l'écho, la décharge d'énergie, et je m'en nourris pour danser raide sur une basse ronde. Laid back, lunettes noires plus loureediennes encore, appréciant l'instant dans le pavillon clair, les promenades dans les jolis villages du Lubéron. Tout en repensant serein à la magie des calanques, dansant les yeux fermés.

Glisser de pierres en pierres, marches blanches en stries dans la montagne, sautiller en bavardant, quelle nature, mais non, tout n'a pas encore été aperçu, léger tournant du chemin, appel et plongée visuelle bleue au moment du contre-appel. Arbres et pierres et ondes et bateaux et silence, ciel bleu, une eau claire et fraîche qui nous accueille, et le vent debout sur le rocher où l'on sèche trop tôt, il faudra sauter pour retourner à l'eau d'un seul élan.
Puis pique-niquer. Partager les sandwichs, les fruits, le gâteau aux carottes et les grains de raisin chauds car cueillis du matin dans les vignes des Calvisson. Partager ces pures gourmandises par petites tranches répétées, encore et encore, en bavardant de théâtre, les cheveux flotteraient au vent s'ils n'avaient pas été coupés dix jours plus tôt, s'ils n'étaient pas retenus par quatre mignonnes petites pinces marrons ou par un joli foulard vert. Pour juste s'absorber dans l'ambiance, l'espace, l'air d'en-haut.

Je sais que tu vois un peu le genre d'instants. Ceux où l'on serait tombé amoureux si l'on était resté un jour de plus. Mais dont on laisse l'ambiance nous baigner longtemps encore, une ligne de basse courant souple en fond sonore. Un bon trip s'écoulant le long du courant, mélancolique, rythmé et souriant à la fois.

Enfin.
Une jolie journée finalement, tombant simplement le lendemain d'un instant superbe. Tu peux comprendre que j'aie eu envie d'en parler.

A très bientôt pour une discussion live, je souhaite que ces derniers jours aient été fous et intenses pour toi aussi !

Bisous,

Cathead

PS J'ai cherché un peu dans ma mémoire des exemples, des lectures, peut-être des films, pour comparer...

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