2007/11/20

Apprenons un argot culturel : aujourd'hui "side-project"

Hier midi, une publicité s'écoule depuis l'autoradio, évoquant le meilleur FPS. "FPS ?" s'écrit le conducteur à mes côtés. Il s'agissait d'un jeu vidéo, un First Person Shooting, où la vision du joueur correspond au point de vue du personnage qu'il contrôle, dont on ne devine généralement que la main tenant une arme. Car il s'agit alors de viser les ennemis dans ces jeux de tirs à la première personne, recherchant l'immersion. Par delà le plaisir de décoder un sigle, cette anecdote m'a rappelé mon plaisir pour certains jargons vaguement techniques et dérisoires, ces mots partagés par une communauté souvent restreinte, ces argots qui apparaissent au fil des presses critiques spécialisées.

J'ai donc décidé de lancer une série de textes sur ce thème, afin d'évoquer quelques-uns de ces mots d'argot culturel. Mais je me voyais difficilement assurer seul une telle tâche, pour laquelle je ne pense pas avoir la plus grande légitimité. Je serai donc assisté des conseils érudits d'un spécialiste en la matière, vétéran de la presse culturelle, consommateur de musique, films, littérature, et plus encore des textes qui en font les critiques. Il s'agit de Doc Nick, souvent cassant, mais toujours enthousiaste. Avec le Doc, nous allons tenter d'établir de petits dialogues, sur le mode du presque candide interrogeant l'expert.

Expert, nous verrons bien. Disons que, généralement, je devrais retrouver assez d'exemples pour épuiser ta salive, cher Cathead.

Nous verrons bien. Aujourd'hui, je vous ai proposé, Doc Nick, d'évoquer le terme "side-project". La parution d'une nouvelle compilation de Gorillaz a fait resortir le terme dans la presse musicale, car, tout le monde le sait, ce groupe de personnage animés sert de couverture à Damon Albarn, le leader de Blur. Dans la musique, un side-project serait donc un projet mené en parallèle au groupe principal, et même wikipedia l'annonce...

Tout à fait, wikipedia est dans le vrai. Le side-project ne doit pas être confondu avec le projet solo, qui correspond souvent à une aventure suivant la séparation d'un groupe, comme pour les Beatles. Le side-project se déroule en parallèle, un pas de côté, et hop, tentons autre chose. Damon Albarn a lancé le groupe Gorillaz et ses personnages de manga pour quitter son image de champion Brit Pop, de bon songwritter à la musique assez classique. Blur, c'était des vignettes pop avec des guitares par-dessus, mais niveau exploration... Alors, il se cache derrière les dessins animés pour tripoter du hip-hop, pour bidouiller un peu d'électro avec de petits synthés. D'ailleurs, Damon Albarn a pas mal fait exploser la notion de side-project avec son récent disque "The Good, the Bad, and The Queen". Autres sonorités, autre groupe, c'est comme s'il créait un groupe et l'image associée en fonction de l'album auquel il aspire.

Comme un artiste fonctionnant par projet. Comme du théâtre sans troupe fixe, où les effectifs s'ajustent en fonction de la pièce jouée. Une démarche artistique séparée de la nécessité de former un groupe, une bande unie.

L'exemple de Damon Albarn est peut-être assez rare, mais c'est ainsi, en effet. Il est même difficile, en fait, pour lui de parler de side-project, dans la mesure où le terme implique une référence, un groupe central. Le groupe le plus connu, le side-project n'étant que ponctuel, temporaire. Mais Damon Albarn saute depuis quelques années d'un projet temporaire à un autre ! C'est un peu ce qui arrive à Spencer Krug, leader du groupe Wolf Parade, dont le projet solo Sunset Rubdown a pris de l'ampleur, a connu succès critique. Quel projet est le side de l'autre ? Le side-project, c'est un truc de journalistes rock fonctionnant sur la notion de groupe, des groupes à longues durées de vie, au milieu de laquelle, parfois, un membre éprouve le besoin de monter un petit quelque chose en parallèle. C'est presque péjoratif, gage de moins bien a priori, ce terme, comme une pochade passagère. Quand on voit les nombreux disques solos des membres de Sonic Youth, un tel montant une maison de disque, une autre sortant disques seules, et tous se retrouvant régulièrement pour de nouveaux albums. Un va et vient du collectif à l'individuel ou encore à d'autres associations, mais au sein d'une démarche cohérente.

Cette question de référence est en effet amusante. Une appartenance à un groupe comme un travail à un plein temps, et un side-project comme un hobby. Cela correspond vraiment à une logique de show business, non, de contrats, presque ?

Il y a un peu de ça, en effet. L'idée ne se pose pas aussi clairement dans le cinéma ou dans la littérature, certainement car l'idée de continuité est certainement moins évidente dans ces cas, moins associées à l'esprit du public. Bien entendu, si Agatha Christie avait écrit un essai d'ethnologie entre deux aventures d'Hercule Poirot, si J.K. Rowling avait fait paraître un livre de poésie entre deux aventures d'Harry Potter, il aurait été tentant de parler de side-project, de respiration par rapport à son projet artistique principale. Dans l'esprit du public, certains auteurs se trouvent classés dans des catégories, gestionnaires d'un style, d'un patrimoine simple, et tout écart avec leur gestion habituelle et prévisible s'apparenterait à un side-project.

Le side-project serait alors plutôt défini par la rupture dans l'oeuvre, une rupture véhiculée par un projet de moindre envergure.

D'une certaine manière, c'est une façon de voir les choses. Avec, là aussi, des limites assez subjectives, dans les conditions d'utilisation du terme. Prenons le cinéma de Gus Van Sant. Il réalise trois films indépendants au début des années 90, puis quatre grosses productions hollywoodiennes, selon un processus classique d'intégration des gros studios après reconnaissance critique. Mais depuis 2002, il a réalisé quatre films personnels aux moyens minuscules. Maintenant, on cite son nom pour de nouvelles productions hollywoodiennes pour 2008 et plus tard. Ses quatre films personnels étaient-ils une parenthèse dans sa "carrière officielle" ? Cela n'a aucun sens, c'est une évolution, différentes facettes, des aspirations variant au fil du temps. Parle-t-on de side-project quand un auteur comme Pierre Assouline tient un blog régulier ? La presse musicale est décidément bien amusante !

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