Cheval de Troie musical avec des yeux verrons
Immense ciel bleu sur paysage tranquille,
ravi, joyeux,
tellement lumineux, autant à droite qu'à gauche,
une brise pour donner vie, sentir l'air
décalage, une jeune fille, une mèche dans les cheveux
et la peau si blanche et claire et égale
la peau joyeuse, crémeuse,
éclairée même par une musique pimpante,
légère et résonante.
Et si la publicité avait diffusée les paroles associées, j'aurais entendu
Je me souviens, je me rappelle
Une croix trop lourde pour moi
Un bois qui pèse et m'écartèle
Et pourtant je l'aimais, cette croix
Il est toujours amusant de regarder des publicités à l'étranger, et, de toute façon, aux Etats-Unis, allumer la télévision, c'est réveiller les pubs. En mai dernier, entre deux quarts-temps du match Suns - Lakers, j'ai eu la surprise de découvrir une pub cosmétique classique, soutenue par la légèreté mélodique de Daniel Darc. Vision incongrue, c'est un des derniers artistes français auquel j'aurais pensé voir pour une publicité, tout particulièrement à cause de la profonde mélancolie associée à ses textes.
Mais la télévision française ne nous avait-elle pas servie, elle, la mélodie de boîte à musique du "Sunday morning" du Velvet ? Pub de téléphonie, il me semble, en long et lent travelling paisible sur des immeubles, saturée de sérénité et de bien-être, la voix douce de Lou Reed murmurant à l'oreille "sunday morning"... Je ne crois pas que les paroles se poursuivaient plus loin dans le spot, pas "watch out, the world's behind you" ou de "there's always someone around you who will come". "Sunday morning", superbe chanson paranoïaque du dimanche matin, dès le réveil, le monde tout entier et ses menaces vagues se glisse derrière le dos du drogué.
Il serait facile de s'amuser des choix à courte vue des publicistes. Ma foi, une belle chanson, c'est une belle musique, alors, qu'importe. Il serait presque tentant d'envisager là une opportunité, une nouvelle approche pour la lecture de la chanson, comme un clip totalement déphasé par rapport au sens évident. Mais je n'ai pas l'impression que beaucoup de publicités puissent aspirer à de telles réussites artistiques. Il n'y a qu'à voir le traitement offert au magnifique "Heroes" de David Bowie : ne subsiste dans l'esprit que l'insistance sur "we could be heroes", et toute l'histoire de la chanson se voit effacée, cette évocation de deux amants séparés par le mur de Berlin, qui se retrouvent en cachette le soir. "We could be heroes, just for one day".
Les exemples de Daniel Darc et du Velvet m'ont surtout fait reprendre conscience de la force de ces chansons. Leur capacité à avancer masquée. De petits chevaux de Troie infiltrant leurs histoires biscornues grâce à la séduction purement musicale. Une poigne de fer dans un gant de velours, une double personnalité, des yeux que l'on découvre verrons quand on les fixe en face.
Je m'amuse donc depuis quelques temps à retrouver ces chevaux de Troie aux yeux verrons. S'il se dégage une plénitude de la tristesse totale d'Elliott Smith, de la cohérente morbidité de Joy Division ou de l'agressivité anarchistes des Sex Pystols, les chansons déguisées s'écoulent souvent fascinantes. N'est-il pas magnifique d'apprendre que le "Born in the USA" de Bruce Springsteen a été utilisée pour la campagne de Reagan ? Une telle chanson décrivant les états d'âme désabusés d'un vétéran du Vietnam ? Le Boss, c'est sûr.
Depuis quelques temps, je monte donc une petite liste de telles pièces rares. Je vais tenter de l'organiser, de la raffiner, car l'appel à l'aide speedé des Beatles n'a rien à voir avec les doudoudou des prostituées de Lou Reed, ou avec la comptine triste de Lio. Hé toi, dis-moi que tu m'aimes, même si c'est un mensonge, la vie est si triste, amoureux solitaires dans une ville morte, et n°3 au hit parade.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire