This is England, film social, identitaire, rétrospectif : déja pas mal !
- Oh, c'est dingue, je regardais ça dans les années 80. Quand j'étais gosse, en Angleterre. Oh, et puis ça aussi.
Des images télé défilent sur l'écran, zapping britannique des années 80 en guise de générique. Mon collègue anglais est sous le charme. Les Inrocks ont décrit ce zapping comme la seule partie intéressante du film. Exquis et excessif comme savent l'être les Inrocks, mais force est de constater que ce "This is England" laisse un peu sur sa faim.
Shaun, gamin à la bouille rousse d'anglais, fricotte avec d'inoffensifs skinheads. Autant passer du côté des excentriques stylés, plutôt que subir les moqueries continuelles des camarades d'écoles. Rasons la tête, chaussons les Doc Martens dessous les hauts ourlets des pantalons, la chemise à carreaux, les bretelles rouges, et hop, parés par casser quelques vitres dans des maisons abandonnées, boire des chocolats au bar du coin, embrasser une fille bien plus âgée, tellement mignonne avec son maquillage intégrale. Embrasser sur la bouche ! Woody, Milky, Gadgie et les autres, on est jeune et ça fait une famille, surtout quand le père est mort aux Mallouines (mais chut, ça fait mal d'en parler).
Bien entendu, les bons skinheads tombent finalement sur les méchants, le vieux copain sorti de prison, déstabilise par toutes les frustrations, le chômage, l'amour non partagé par la copine d'un soir, avec toute la violence à fleur de peau. Tous ne suivent pas l'appel de l'aîné à la guerre dans l'ombre du National Front, mais quelques uns suivent, l'obèse complexé, le gros barbu tatoué, et le plus jeune, car il faut un film.
Je songeais à parler d'un enchaînement incontrôlé de bruit et de fureur, cette belle expression shakespearienne en guise de beau titre faulkenerien. Hélas, la trame très égale de notre petit film anglais glisse beaucoup trop prévisible. Point vraiment d'escalade, un peu de violence sans surprise, sans vraie passion, sans trop d'enjeux entre des personnages, dont les tensions apparaissent à peine, ou tellement convenues qu'elles s'effacent dès proposées, qu'on n'y prête pas trop attention. Les noeuds de l'intrigue sont limpides, la rencontre, le discours du chef raciste, l'attaque du Paki, la bastonnade du noir, les paroles de la mère un peu faible. Pas désagréables, ces petits événements, mais nullement assumés dans leur caractère artificiel et théâtrale : la scène qu'il faut, techniquement, dans l'installation de l'histoire, pourquoi pas, mais autant jouer avec les codes, les grossir, les contourner, et pas seulement les interpréter proprement en élèves appliqués. Quand, dans "My own private Idaho", le vieux patriarche rejoint ses troupes de jeunes délinquants, il le fait sur le ton de tirades directement extraites de Shakespeare, propos de Falstaff, assurément, déclamés dans le théâtre d'une friche industrielle rouillée. Utilitaire, parfaitement stylisé, la classe.
C'est bien une certaine classe cinématographique qui manque à ce "This is England" plutôt sympathique. Un honnête film social, sans génie, sans trop de mordant, et mon collègue anglais m'a glissé en sortant : "Qu'est-ce qu'aurait pu donner un tel sujet, au main d'un Ken Loach ?" Les gamins de "Sweet sixteen Jack, poing brandi au coeur de la boue d'un festival face au set " sont incompréhensibles dans leur accent épais, mais vivants, figures perdues dans le gris humide de la pauvreté anglaise. Beaucoup plus justes,aurais-je envie de dire, même si ce n'est pas certain, mais assurément plus poignants, un film plus vaste. Ce "This is england" décrit assez bien cette Angleterre prolétaire fière de ses couleurs, celle qui brandit le drapeau en chantant Swing Low, Sweet Chariot à Twickenham, ou ressort l'Uniond'Oasis ou de Babyshamble. Mais finalement, peinture assez unidimensionnelle : la rue, la galère, and what else ?
Que sont devenus les strip-tease ou les leçons de danse qui donnaient de l'épaisseur à "BillyElliott" et "The Full Monthy" ? Les battles rap d'"8 Mile" ? On est loin de la richesse de mise en scène des frères Dardennes, laissant la caméra pénétrer au plus près des personnages, quand les plans les plus osés de "This is England" se résument à un zoom arrière ou à simuler gauchement un film amateur. Le parti pris est clairement moins extrême que dans "La Haine" et son noir et blanc sec, les personnages moins riches et variés que dans le polar social "La raison du plus faible". Et l'écriture tellement moins fascinante que dans "L'esquive", où le parler des cités du 9-3 entrait en collision avec les paroles de Marivaux, les rapports théâtraux dans les grands ensembles délicatement présentés, schéma équilibrant improvisation et maîtrise.
Une reconstitution, pas beaucoup plus.
Mais il se dégage une euphorie certaine à voir évoluer ces jeunes aux looks si bien reconstitués, les Doc Martens, les petits chapeaux, les filles aux cheveux rasés sur le dessus et aux longues mèches dans les yeux, le maquillage néo-romantique violet jusque sur les joues. L'euphorie de se retrouver vingt ans plus tôt, et on peut alors rapprocher "This is England" de "Good Bye Lenin! " et "La vie des autres" : des équivalents allemands, plongées à l'Est à la fin des années 80, et qui devaient beaucoup de leur charme à leur parfaite reconstitution stylistique. Attirer par son look, charmer, voici des recettes sûres au cinéma ces dernières années. Et "This isEngland", en grossissant le trait, tient souvent du très beau clip sur grand écran, avec sa musique d'époque, entre le ska des Dexy Midnight Runners et le punk bête et commercial des Sham 69.
Et, par delà les réserves artistiques au sujet de cette approche tout en apparences, je n'ai pu m'empêcher de rechercher un film français équivalent, traitant des années 80. Pas vraiment de grands succès récents pour des reconstitutions des années 70 ou 80. On a bien eu "L'ivresse du pouvoir" sur l'affaire Elf, "Le dernier gang" sur le gang des postiches, "L'ennemi intime Poulain des années 80, où l'on s'en irait à la marche "Touche pas à mon pote" en écoutant " sur la guerre d'Algérie. Pas vraiment de film entraînant l'adhésion du public, pas vraiment d'AmélieIndochine ou Téléphone.
Les reconstitutions à gros budget en France me semble plus bloquées sur un certain âge d'or, une certaine idée de la France. Les magazines nous ont servi des longues plâtrées de Piaf pour "La môme", l'école de la République des années 50 a été chantée par les "Choristes", PatrickBruel a sorti les costumes 2ème Guerre Mondiale pour "Un secret", et tout dernièrement, le remake du "Deuxième souffle" s'est englué dans une esthétique passéiste du polar 60s. Une molle adaptation du "Grand Meaulnes" a même été tentée. C'est la France du bon vieux temps, la France du c'était mieux avant, cette France bon enfant et proche du peuple que j'aimais appeler la France de Raffarin.
On trouve des reconstitutions malignes dans "Les amants réguliers", où Mai 68 devient un théâtre d'ombre où les pavés volent dans le brouhaha imperceptible d'un chaos déjà désabusé. Et plus encore dans les loufoqueries fines des "Triplettes de Belleville", mémé au jazz manouche, et dans les dessins subtiles et simples de "Persepolis", où Chiara Mastroianni se force à chanter faux "Eyes of the Tiger". La finesse par la liberté du dessin, le style et l'approche équilibrée, et la réussite est bien là : "Persepolis" a été primé à Cannes, et postule à l'Oscar du meilleur film étranger.
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