Bavardage politique au Canada à l'heure du déjeuner
- Alors, comment sens-tu les élections ?
Le professeur iranien lève les yeux de son déjeuner, sourit au professeur canadien.
- Oh, il n'y a plus trop de suspens, Ahmadinejad va être élu sans problème. Il sait parfaitement parler aux classes les plus démunies, et c'est elles qui décident de l'issue du scrutin. La bourgeoisie et les classes les plus éduquées ne votent pas pour Ahmadinejad, mais elles ne sont pas assez nombreuses pour faire basculer le résultat. L'opposition s'est d'ailleurs résolue au résultat, son seul objectif est maintenant d'éviter qu'il soit élu dès le premier tour, avec la majorité absolue. En cas de 2ème tour, avec seulement deux candidats, il serait plus facile de dessiner un affrontement politique net, de mobiliser les électeurs, de le mettre un peu plus en ballottage, d'envoyer un signal au pouvoir. Mais au final, Ahmadinejad va être élu sans problème.
- D'une certaine, il s'en est plutôt bien sorti, il a fait du bon boulot.
- Du bon boulot ?
- Oui, pour manipuler les foules, pour profiter des penchants anti-américains, pour asseoir son autorité. Il est très doué pour cela. Peut-être cela va-t-il être un peu plus difficile pour lui maintenant, avec Obama. A ce niveau-là, il n'était pas difficile de fédérer contre Bush ; Bush, c'était clairement le méchant, le sale type, il offrait une prise facile pour la contestation.
- Ce n'est pas faux. Obama a annoncé ses envies de dialogue avec l'Iran, ce sera forcément plus difficile à gérer pour Ahmadinejad. Au fait, vous avez un président, en Allemagne ?
L'étudiant allemand lève les yeux du poulet au cury de sa boîte en polystyrène, fronce les sourcils.
- Oui, il y a un président en Allemagne. Mais je suis incapable de retrouver son nom. Keller, Köhler, ce doit être cela, Köhler. Le président à très peu de pouvoir, en Allemagne, juste un rôle de représentation, de chef d'état. C'est le chancelier qui dirige vraiment le pays.
- Il est désigné après les élections au parlement, c'est ça ?
- Oui, il est choisi dans le parti majoritaire. Même s'il n'y a jamais de parti avec la majorité absolue en Allemagne, c''est toujours un gouvernement de coalition, avec négociation après le scrutin. C'est une approche similaire en Italie, non ?
L'étudiante italienne sourit largement, le chef du gouvernement italien est bien choisi dans la majorité à l'issue des élections au Parlement. Le professeur iranien fait la grimace.
- C'est amusant, à l'étranger, il n'y a que deux hommes d'état qui me déplaisent vraiment. Berlusconi et Sarkozy, je ne peux vraiment pas les supporter. Au fait, comment est la popularité de Sarkozy en France, en ce moment ?
L'étudiant français reste silencieux quelques instants, regardant dans le vide ; il choisit ses mots.
- En ce moment, la popularité de Sarkozy est au plus bas. A cause de sa manière d'exercer le pouvoir, je pense. Normalement, en France, les rôles sont bien séparés entre le président et le premier ministre : le président comme chef d'état, le premier ministre comme chef de gouvernement, au quotidien, avec les ministres engagés dans chaque domaine. Mais Sarkozy veut être partout, et pour la moindre réforme ou annonce, il prend la parole ; son credo, au moment de l'élection, c'était "si je veux faire changer les choses, les choses changeront". Donc il s'engage sur tout. Mais, bien entendu, avec la crise économique, même avec toute la bonne volonté du monde, les choses ne changent pas beaucoup, et ont plutôt tendance à empirer. Alors les gens ont une très mauvaise opinion de Sarkozy en ce moment, un profond sentiment de déception par rapport à ses promesses.
- Et que pensent les gens de sa femme ?
Nouvelle minute de réflexion : pas facile d'émettre une opinion profonde sur le couple Sarkozy.
- Je pense que le mariage avec Carla Bruni a un peu joué en sa défaveur, en particulier auprès d'une partie de son électorat, assez traditionnel, plutôt âgé. Il venait juste de divorcer, et même pas deux mois plus tard, le voilà marchant main dans la main à Disneyland avec Carla Bruni. Pas idéal pour les plus conservateurs et les tenants des traditions. Cela n'a pas forcément été très bon pour l'image qu'il renvoyait.
- Ah, l'image. C'est certain qu'il ne paraît pas très serein vu de l'étranger, il ne donne pas forcément très envie de l'aimer, même pour ceux qui n'habitent pas en France. On en vient même à se demander, avec certaines maladresses, comment certains ont pu voter pour lui, comme aveuglément.
- C'est un peu comme Berlusconi, en fait : très doué pour être élu, même si cela paraît incroyable de l'étranger. Pas mal aidé par la désorganisation de l'opposition, je pense, en Italie comme en France. Mais en France, on peut se dire que c'est juste l'erreur d'une élection, un vote sans vraie connaissance de cause. En Italie, c'est la deuxième ou troisième fois qu'ils ré-élisent Berlusconi, ils ne peuvent plus dire qu'ils ne savent pas ce qui les attend, non ?
22/05/2009 - Ottawa
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