Le dépouillement angoissant d'une chambre d'étudiant après un mauvais 1er avril
- Bon, bien entendu, ce n'est pas le même standing que la Guesthaus. Pas le même service au niveau du ménage, la cuisine, la salle de bain, des parties communes.
- Pour deux mois et demi, ça ne posera pas de problème. Je ne suis pas trop exigeant.
Et, en disant cela, je pensais également : "vous savez, madame, j'ai vécu en résidence étudiante il n'y a pas si longtemps". Mais il faut croire que trois ans suffisent pour changer les perceptions et les habitdes. S'embourgeoiser ? Juste devenir adulte et indépendant ?
En montant les quatre étages, le carrelage de HLM n'avait déjà été très engageant, réminiscences de lointaines banlieues parisiennes et d'arrière-grand-mère logeant dans un immeuble de bas standing. L'absence de numéro sur les portes n'était pas pour me rassurer, et timide, je me retrouve à essayer toutes les serrures avec tout mon mystérieux trousseau de clé surchargé. Ah, tiens, la cuisine d'étage, une grande bouffée d'école d'ingénieur avec ses plaques de cuisson et son réfrigérateur partagé, et surtout, détail plein de chaleur, ses placards à provisions fermés à clés, un par chambre. La confiance règne, attention aux voleurs de café et de biscuits.
Mais j'ouvre enfin la porte et me voici blême. J'ai déjà oublié la voisine d'en face qui ne parle pas anglais et laisse sécher ses fringues dans le couloir pile devant ma porte, et l'espace pâle et grisâtre m'a sauté au visage. Deux plaques de cuisson bancale, un évier sans eau chaude, juste une bonbonne à remplir à la main et à brancher sur le secteur. Une longue pièce où trois chaises broutent la terre battue du plancher, accompagnées de deux bureaux et deux étagères bancales. Une étagère se cache derrière la porte, ayant tellement honte de ces murs sales passés à la chaux. La fenêtre m'aspire de toute sa lumière entrant librement entre les rideaux absents. Dans la chambres, deux grabats aux matelas marrons et résignés sont couchés épaule contre épaule, une micro salle de bain dans un coin. Les ampoules paresseuses peignent l'ambiance de jaunisse aux accents urinaires.
Mais où se trouvent les deux chambres ? Je veux bien avoir été naïf en imaginant trouver un oreiller et une couverture, mais et l'absence de rideau de douche ? De rideaux aux fenêtres ? Aucune lampe de bureau, aucun cintre, et les prises de connexion Internet tellement bien cachées que je ne suis pas arrivé à les trouver ?
Un brutal retour dans la réalité immobilière étudiante. La pâleur maladive ambiante m'oppresse et je bondit dans la rue, tentant d'oublier le bloc de glace gros comme un tonnelet qui dors souriant dans le réfrigérateur.
Je marche à grands pas dans la rue, et cette mauvaise blague du 1er avril commence véritablement à toucher mon moral. Un coup de fil le midi, soudain : "êtes-vous prêt à quitter votre chambre, votre réservation s'arrête fin mars !", et comprendre que mon fax de réservation a été mal lu, qu'il me faudra peut-être sauter de chambre en chambre par tranches de deux semaines jusqu'à fin juin, avec, parfois des trous de trois jours sans logement. C'est bon de rire parfois, et ce type d'anecdote prête souvent à rire, mais rarement avant qu'une dizaine d'années se soit écoulée...
Alors cette chambre double finalement disponible pour trois mois, finalement, ça avait été une bonne nouvelle, et l'attente d'une heure devant le bureau du concierge non anglophone n'aurait dû être qu'une péripétie vite oubliée. Mais ce grand espace bancale, poussiéreux et manquant d'équipement ! Bon sang, vais-je devoir investir dans des rideaux ou me résoudre à être réveillé par le soleil à 5h du matin ?
Je commence à manger une deuxième barre de cette tablette de chocolat. Chocolat noir à 77%, bien corsé pour se saisir brutalement, mais le parfum de fruits rouges annoncé est tellement discret qu'il est inexistant, une nouvelle légère frustration. Mais bon, cela reste toujours un bon chocolat noir.
Je m'approche de l'université, pas tout à fait encore prêt à reprendre le travail après cette étranger interruption en pleine après-midi, cette découverte amère et ces questions, cette absence de rideaux et ces larges murs blancs au fort pouvoir mélancolique. Il faudra vite remplir tout cet espace et sa note soutenue en bourdon, coller au mur des affiches comme il y a quelques années, n'importe quoi, des couvertures de Libération, de Courrier International, des Inrocks, des tracts, et, l'un dans l'autre, ce pourra être amusant. Et puis, oui, faire une fête à mon arrivée, réunir mes collègues avec quelques hautes bouteilles de bière allemande, cela donnera un peu de vie et de souvenirs à ce logement. Pousser jusqu'au bout la logique étudiante, faite de rencontres, d'échanges et de décorations éphémères, de petits bricolages et d'achats plus ou moins prévus, d'écumage des magasins discount et de boutiques à un euro.
La couette achetée hier à 9,90€ devrait d'ailleurs donner des couleurs, ses bleu et rouge francs ne tombent finalement pas si mal. J'irai l'installer ce soir, en emportant quelques affaires. Cela permettra de prendre possession de l'espace et de regarder la laideur avec mon de répulsion initiale.
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