Roll up, roll up for the Darjeeling Limited
Quatre formes penchées sur une carte, à même le sable du long des rails, dans le soleil du matin. Trois visages se penchent par la fenêtre du train.
- Pourquoi est-on arrêté ?
- On est perdus.
- Comment peut-on se perdre avec un train ?
- On a dû prendre la mauvaise voie à un embranchement.
Le gag éclate gros, avec un arrière-goût de facilité, mais il est présenté avec délicatesse et au fond, nous voici encore conquis.
The Darjeeling Limited, le nouveau film de Wes Anderson, s'écoule ainsi au milieu de situations énormes et dérisoires, une exquise promenade où le récit n'importe pas tellement. Trois frères se retrouvent dans le Darjeeling Limited pour un voyage spirituel en Inde, afin de renouer leurs liens distendus, et il n'y a pas vraiment plus d'histoire sur l'ensemble du film. On assiste plutôt à un road-movie ferroviaire avec un contrôleur à turban et des visites de temple, au coeur desquelles naviguent les dialogues entre frères. Regardé de loin, l'ensemble s'affiche légèrement schématique, peut-être, doucement dérisoire.
Mais un film de Wes Anderson ne doit pas se regarder de loin, l'oeil se doit de sauter d'un point à un autre pour déguster les délicieux détails éparpillés. Du plus évident, comme les pansements cachant en permanence le visage d'Owen Wilson, au plus subtile : pour quelle raison Jason Schwarztman apparaît-il tout au long du film pieds nus ? On se régalera donc d'un serpent venimeux acheté au marché, de spray au poivre, d'échanges incessants de ceinture entre frère, de leur consommation permanente d'anti-douleur, du set de valises Vuitton au motif à éléphants, du micro-temple d'un hall d'embarquement, de l'utilisation permanente d'un iPod en pleine jungle. Un nouveau manifeste à la gloire du détail décalé et poétique.
Plus que la somme de ses détails pour collectionneur, ce Darjeeling Limited affiche une douce subtilité dans ses choix esthétiques, qui constituent la vraie force de séduction du film. Les couleurs s'étendent comme dans un film de Bollywood, assurément par le choix de filtres et de caméras ad hoc. La musique flotte parfaitement choisie, un superbe pot pourri où les juxtapositions fonctionnent de manière étonnante, entre mélodie pop psychédéliques des années 60, bande-originale de films indiens, et une exquise surprise au générique : peut-on imaginer image plus improbable et magnifique qu'un train indien roulant au son des Champs-Elysées de Joe Dassin ? Tout cet enrobage raffiné se met au service d'une belle réalisation, où le sens du rythme s'avère parfois bluffant, entre ralentis envoûtant et scènes de dialogues rythmées et théâtrales.
Ces couleurs, ces rythmes, ces personnages et toutes ces sucreries rieuses rendent donc la séance des plus agréables. On sort le sourire aux lèvres, rêvant à un prochain film de Wes Anderson où le bel écrin accueillerait une histoire plus riche et plus folle.
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