2008/01/11

Quand les belles choses que portent le ciel n'apportent finalement pas grand chose de plus que les enfants de la révolution

Avec surprise, j'avais découvert que le premier livre de Dinaw Mengestu avait vu son titre traduit pour le marché anglais. "The beautiful things that heaven bears" aux Etats-Unis, fidèlement traduit "Les belles choses que portent le ciel" en français, se nomme ainsi "The Children of the Revolution" au Royaume-Uni. Certainement pour profiter de la renommée britannique du groupe T.Rex, auteur de la chanson "Children of the Revolution" : par cette découverte, ce livre a priori attachant se voyait un peu plus lié aux questions de marketing éditorial...

Cité par le New York Time dans son classement de fin d'année, dans le top 20 du magazine Lire, Prix du meilleur premier roman étranger, de longs articles dans Libération ou les Inrocks, et, bien sûr, une séance de dédicaces à Rueil-Malmaison, tout près de chez moi. Le livre de Dinaw Mengestu a tout du petit blockbuster du livre. Je ne le cache pas, je m'amuse beaucoup à lire les articles de critiques littéraires, à les recouper, à voir se dessiner des personnages, comme ici celui de l'auteur né à Addis Ababa qui a écrit un roman si bien senti. Avec ensuite l'intention de confronter ma lecture avec les commentaires glanés ici ou là.

C'est donc sans surprise que je me suis plongé dans l'histoire de Sepa, émigré éthiopien tenant une petite épicerie dans un quartier noir de Washington D.C. Les axes principaux du récit m'avaient été plus ou moins dévoilés lors de la rencontre avec l'auteur à la Librairie Dédicace, et j'ai ainsi retrouvé ses deux camarades congolais et kenyan, sa nouvelle voisine blanche Judith, l'histoire de sa fuite d'Ethiopie, le tout raconté peu à peu par Sepa dans ce récit à la première personne. L'écriture s'écoule avec fluidité sur 220 pages, mêlant larges descriptions, bons mots entre émigrés et une légère intrigue autour des rapports avec Judith et sa fille.

Fluidité, mais encore ?

Je dois reconnaître une belle maîtrise d'écriture pour faire tenir debout ce vaste assemblage, cette volonté de présenter l'état d'esprit d'un émigré aux Etats-Unis. Dinaw Mengestu a avoué avoir passé du temps pour trouver une bonne approche, et on peut le comprendre. On suit avec intérêt les états d'âme de l'étranger, le désarroi de qui sait avoir perdu à jamais sa famille, vivant au loin, ses difficultés à trouver un nouveau but, son impossibilité de vraiment se lier avec une femme blanche, riche, cultivée. L'évolution même de ce quartier pauvre éveille l'intérêt, la gentrification d'un quartier noir de D.C., aspect faisant écho à mes promenades dans cette ville en mai dernier.

Mais hélas, en caricaturant, l'exercice relève presque du docu-fiction, documentaire avec personnages, dans la mesure où, pour moi, l'intérêt n'a jamais évolué vers de l'empathie ou la mobilisation de vraies émotions. Bien entendu, cela peut être dû à un certain manque de surprise, lié aux nombreux détails dévoilés lors de la séance de dédicace. De plus, ma lecture du livre en anglais a certainement émoussé ma perception de certaines subtilités de ton. Pourtant, ce ton doucement désabusé du narrateur me paraît être partie prenante du projet, la volonté de montrer la distance qu'il ressent avec ce monde où il ne peut se sentir vraiment chez lui, nulle part. Ton nécessaire à la justesse du personnage, mais n'y avait-il pas moyen de briser parfois ce schéma, de varier les points de vue ? A la manière de L'histoire de l'amour, de Nicole Krauss, où le point de vue de l'émigré polonais alternait avec le journal intime d'une adolescente, par exemple.

Au fur et à mesure de la lecture, comme mon investissement émotionnel de lecteur s'est trouvé maintenu à distance, c'est une sensation d'application qui s'est fait jour. La maîtrise du bel assemblage ne parvient pas à s'oublier, à mettre en jeu une plus grande fantaisie narrative. La structure des chapitres en est d'ailleurs une triste illustration, à mon sens : une alternance propre et régulière, le récit des événements présents pour les chapitres impaires, celui d'épisodes ayant eu lieu six mois plus tôt pour les chapîtres paires. Maintenant, six mois plus tôt, maintenant, six mois plus tôt, et ainsi de suite, le genre de structure qui m'énerve au plus au point quand elle ne semble pas avoir d'autre justification que l'alternance elle-même.

Cette application conduit finalement à l'impression de lire une sorte de conte théorique auquel manque un peu de chair. Bien entendu, c'est un conte très plaisant, un premier roman prometteur, riche dans ses thèmes, néanmoins, ces petits défauts laissent un léger goût d'inachevé et de peut mieux faire. Il sera donc intéressant de voir jusqu'à quel point Dinaw Mengestu peut mieux faire !

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