2008/01/09

Explorer les communautés de Locas dans Love & Rockets

Locas et ses 700 pages, tout un jeu de mondes et de personnages avec lesquels Jaime Hernandez a joué pendant des années dans le magasine Love & Rockets. Et, pour être précis, ces sont plusieurs communautés qui se voient convoquées dans ces histoires, plusieurs petits mondes qui s'entremêlent peu à peu, habilement évoqués pages après pages.

Le titre l'indique presque aussitôt, Locas, ce sera des personnages chiconos, des quartiers des Etats-Unis à l'accent espagnol et aux cheveux bruns. Il s'agit assurément d'une des motivations première de cette série, mettre en scène ces figures proches de l'auteur, leurs expressions typiques et leurs passions, leurs mouvements quotidiens comme sources d'intrigue. Il est d'ailleurs fascinant d'explorer les tâtonnements des premières histoires, mobilisant de larges pans de science-fiction, vaisseaux, extra-terrestres, révolution dans un pays exotique. L'enracinement chicano reste en arrière-plan à travers les figures centrales de Maggie et Hoppey, adolescentes de Hoppers tournées vers le punk, et le mélange est surprenant : fantaisie et grande aventure saupoudrées de détails proches de la réalité, comme la passion mexicaine pour le catch.
Et très vite, Jaime Hernandez se focalise sur cette réalité communautaire de la ville de Hoppey, et tout le potentiel narratif de ces personnages. Plus besoin de milliardaire, d'attentats ou de robots à réparer, il suffit de se pencher sur cette petite ville imaginaire, et tout un roman s'écrit peu à peu. La très longue histoire "La mort de Speedy Ortiz" fait ainsi preuve d'une maîtrise à plusieurs dimensions. Une histoire de quartiers rivaux comme toile de fond, où les descentes ont lieu le samedi soir, où les beaux parleurs côtoient les vrais durs, et où les histoires de coeur déclenchent les tensions sanglantes. Roméo et Juliette, West Side Story, rien de neuf, mais ici, l'amour s'affiche moins certain, mélancolique et changeant, plus jouet du désir qu'absolu éternel. Profondément attiré, assurément, mais tout aussi profondément perturbé par les tensions que soulève le flirt, et ces tensions tirent le récit prenant au long de cases aux tons très sombres. Décors sombres et familiers d'une Amérique profonde, dessin simple et très détaillé : oui, c'est arrivé près de chez nous, en nuestro bario de Hoppers.

Et ainsi, Jaime Hernandez sait toujours manier les situations et les figures typiques, avec humour, mais sans tomber dans la caricature lourde. Une foule de détails visuels au coeur des histoires, mais des histoires se développant autour de thèmes généraux, comme les interrogations d'une jeune fille cherchant sa voie, comme le difficile amour d'une tante pour sa nièce, comme la quête de travail d'une mère célibataire. Les femmes se battent sur le ring de catch sans hésiter à placer les coups bas, mais habillés de justaucorps entre les cordes, elles songent encore aux disputes ou aux difficultés de l'amour entre filles. Le catch féminin, les motels peuplés d'illégaux et les bars de strip-tease comme théâtre moderne d'histoires à la psychologie fouillée, voici la bande dessinée dans toute sa puissance d'art pop.

La richesse de ces scènes entremêlées se voit renforcée par l'implication d'un deuxième axe communautaire, celui du punk, les rockers adolescents avides de liberté. Dès le début de Locas, Maggie et Hoppey sont punks, affirment leur indépendance : monter sur scène, hurler dans un concert et trop boire, et s'aimer, aussi, il n'y a pas de raisons. Tout ce pan moderne de la ville de Hopper se voit dépeint au travers de magnifiques dessins de chanteurs à crêtes, d'ado discutant autour d'un disque, de tournées où le groupe change de nom à chaque concert, et pourquoi pas, de toute façon, vu le faible public, qui cela gène ? Maggie et Hoppey à la croisé de la communauté latino, friande de beaux mariages, et de la liberté bricolée du punk, impertinente, désagréable, fauchée et tellement enivrante. Deux jeunes filles entre ces collisions contemporaines, ces doutes : qu'importe alors que, parfois, l'écriture en feuilleton génère quelques péripéties étranges ou épisodes étirés, l'oeuvre est superbe.

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