Viande exquise sur une aire d'autoroute polonaise
- Mais attention, je dois te préciser, le cadre n'est pas vraiment luxueux. On peut même dire que c'est assez pauvre. Mais la viande est vraiment délicieuse.
Nous sommes entrés en Pologne il y a une trentaine de minutes. Il est 15h environ, nous sommes partis de Potsdam vers midi et n'avons pas déjeuné. Mon camarade a donc proposé de s'arrêter sur une aire d'autoroute de sa connaissance, non loin de la frontière, une sorte de grill proposant une viande exquise. La voiture saute en tout sens sur l'asphalte déplorable, deux fois deux voies en ruban de nids de poule depuis des dizaines de kilomètres, et nous guettons impatients l'établissement miracle.
Soudain, nous plongeons dans une station service posée sur une aire pavée. La concentration précédente n'a pas été superflue, car aucune voie de décélération ne mène à cette station, et il a fallu une belle réactivité pour plongé sur la droite.
Derrière les quelques pompes nous attendent un bar toilettes au fond, et trois caravanes avec auvents. La première est la bonne.
Un barbecue grille intensément des steaks, des saucisses et des brochettes, déposées dans un bain mi-jus de viande mi-huile. Nous désignons les steaks, et deux généreux morceaux sont déplacés sur la balance à la peinture jaune écaillée et rouillée, donnant envie de relire rapidement les Raisins de la Colère, ou de découvrir le film, même en noir et blanc. L'aiguille tourne mollement et la mère note deux chiffres au crayon bille sur un morceau de nappe en papier déchiré. Pendant ce temps, la grand-mère installe notre table, juste derrière, déposé deux paires de couverts en plastique sur la toile cirée beige.
Nous nous sommes faufilés derrière le comptoir, tenant les barquettes en carton alourdies par les prometteuses pièces de viande. Installés et joyeux sur le banc de bois, nos regards interceptes un énorme camion rouge, le défilé bruyant des voitures sur la route déplorable, et le va-et-vient affamé des amateurs de viande de qualité.
- La dernière fois que je suis passé, un type dégustait sa viande tranquillement assis dans sa grosse Mercedès décapotable.
Réglant d'une main son autoradio, le couteau en plastique découpait sans effort l'épaisse viande à la tendresse magnifique, ou, plus sûrement, trop troublé pour introduire une musique dans cette expérience sensorielle, la main gauche se perdait près de la cuisse sur le cuir luxueux, simplement songeur, beefeater perplexe et un peu honteux, mais revenant toujours, jamais lassé, empruntant mécaniquement le chemin vers ces trois caravanes et leurs tenancières magiciennes en pantalon de velours.
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