Anniversaire en solitaire à Düsseldorf, mais tout de même avec Pérec et Wes Anderson
Le soleil ne brille pas tellement sur Düsseldorf, mais je profite tout de même de ce samedi après-midi en terrasse d’un café. Mon cahier est ouvert devant moi pour prendre quelques notes, et, juste à côté, un vieux numéro des Cahiers du Cinéma emprunté à l’Institut Français. Je sirote une Alt Bier, commandée sans hésitation, Düsseldorf oblige, même installé à cette terrasse de pub irlandais qui diffuse un match de cricket. Le cadre pourrait être plus allemand, mais je ne veux pas m’éloigner de la place de la mairie, où se produit une fanfare.
J’ai ouvert quelques cartes ce matin, un paquet reçu dans la semaine. J’ai sauté dans un train vers Düsseldorf, pour me régaler d’un copieux petit déjeuner dans une luxueuse chocolaterie. Croissant, deux toasts et un brotchen, un œuf dur, trois sortes de confiture, et un exemplaire tout frais de Libération. Pas de raison, même solitaire, de ne pas prévoir quelques jolis repas, dimanche je compte mijoter des ravioli frais avec des courgettes, des fraises pour le dessert, et je dois acheter une baguette en rentrant. Peut-être aussi un généreux cornet de glace en flânant sur la Königalee. Et surtout, une grande ration de nourriture culturelle, piochée à l’Institut Français. Deux valeurs sûres musicales en CD, trois DVD d’auteurs reconnus pour ma cinéphilie, deux romans des années 50 choisis après un long parcours des rayonnages, et cette lecture des tranches verticales est elle-même réjouissante. Sans oublier les deux numéros des Cahiers du Cinéma, que je feuillette et déchiffre sous un parasol aux couleurs Guiness.
Un peu plus tôt, chez le chocolatier, les amateurs de petits déjeuners appartenaient à des tranches d’age similaires.
Trois sortes de confiture, un journal, et une dernière gorgée de bière.
Suis-je en train de tendre clairement vers l’esprit de Philippe Delerm ? La question m’inquiète, je laisse sur place la fanfare et les adorables cloches qui tintent tous les quarts d’heure. Philippe Delerm et sa première gorgée de bière, tous les petits plaisirs du quotidiens en courts textes, posés côte à côte, une poésie facile qui ne m’attire pas, une recette d’écriture qui ne me paraît pas très ambitieuse. Des tranches courtes et un doux ton vaguement nostalgique, une démarche dont la modernité me semble lointaine ou datée, comme un catalogue de la France de Rafarin, un peu sépia et nostalgique, le bon sens jusque dans les goûts, une éloge de l’authenticité et du vrai savoir-vivre. Ai-je mis les deux pieds dans une telle attitude ? Mais mon blog parle-t-il d’autre chose ?
Je marche dans les rues piétonnes de l’Altstadt, vers la Königalee, cherchant à me perdre dans un jeune magasin de fringues où flottera une techno basique, une rupture de ton. Mais je n’ai pas bifurqué à temps, je découvre une petite rue inconnue, et, surprise, un disquaire. De jolis vinyles s’affichent au mur, appels à collectionneurs, ces vieux exemplaires de punk allemand, cet Amon Dul II à 75€ ou ses six albums de Joy Division pas tous réédités en CD. Je plonge dans les bacs où les CD sont en minorité, pianote dans les occasions, et ressort avec deux jolies trouvailles. Le tout récent album de Nôze, électro français ici en version « For promotional use only », et le premier album d’Echo & the Bunnymen, de la franche new wave basique et précoce. Mon reflet dans la vitrine me sourit, avec son imperméable jaune vif et son T-shirt de marque de bière.
Oui, je collectionne les détails et les petits snobismes, mais je ne me delerme pas, je pense, je me sens plus proche de Jim Jarmusch, de Wes Anderson, de Georges Pérec. Jim Jarmusch, qui proclame un amour équivalent entre les grands classiques et les avant-gardes les plus pop, le punk et les grands maîtres du Noir et Blanc. Wes Anderson, qui colore ses films d’un fétichisme pop, une minutie des costumes et des petites phrases, dont le spectre va de Renoir le réalisateur à la new wave débile de Devo. Georges Pérec, qui accumule les détails et les listes réalistes jusqu’à la folie, mais une accumulation de détails mis en mouvement, pour construire des fictions où flotte une profonde fantaisie, pour rendre compte sans nostalgie de son époque.
Dans le train qui me ramène à Duisburg, je ne suis pas mécontent de ce dernier cadeau d’anniversaire. Citer Jarmusch, Anderson et Pérec comme ça, à partir de trois sortes de confiture et d’une dernière gorgée de bière. Je peux me replonger dans les Cahiers du Cinéma et leur analyse sur Spielberg.
Mais, depuis quelques minutes, ma banquette vibre en sursauts espacés. Le voyageur derrière moi a le hoquet, et celui-ci résonne même souvent sonore et bouche ouverte.
Je serre les dents un instant. Puis saisis mes affaires et plonge dans la voiture suivante. Derrière la vitre, le soleil s’est levé, la grisaille et la fraîcheur se dissipent. Une fois à Duisburg, je vais aller me promener au bois en chantant Hercules & Love Affair, et peut-être même m’allonger quelques instants entre les arbres.
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