The Past is a Grotesque Animal, mais, pour Doc Nick, Of Montreal est grand
Salut Cathead.
Bonsoir Doc. Ce soir, comme d'habitude, je viens vers toi pour ta large culture musicale, ton sens du rock et de la pop. Pour un sujet certainement trop vaste, mais sur lequel j'aurais besoin de quelques éclaircissements. Les chansons de rupture. Sans aucune arrière-pensée politique...
Je vois, les chansons déchirantes écrites après une rupture amoureuse. Une recette éprouvée de la pop, non ? Un auteur-compositeur se sépare douloureusement de sa compagne, son coeur saigne, et forcément, artiste aux sentiments à fleur de peau, il exprime sa peine par son moyen de communication favori, la chanson. L'histoire du rock regorge de ces âmes en peine, enfermée dans une cabane dans la forêt, ou traînant pendant des semaines dans les draps défaits d'une chambre solitaire. Pour en sortir finalement armées de quelques mélodies où suintent les larmes, plus ou moins subtilement. On retrouve là toute la mythologie du rock, où la chanson se doit d'être sincère, de refléter l'esprit torturé de l'idole. Tout un côté voyeur du rock, sentir la star vacillante, comme Cobain avec la drogue : oh, ses paroles sonnent tellement justes. Mais finalement, une tendance très générale de la société contemporaine, sur laquelle se nourrit le succès des blogs, toutes les exhibitions intimes. Et là, la différence entre le blogueur du coin et l'artiste se joue au niveau de l'exécution. De la qualité. De l'art, tout simplement : l'artiste Sophie Cale a ainsi publié le journal intime d'une de ses ruptures, notant jour après jour ses impressions, et sa démarche artistique tient plutôt la route, là.
Oui, chapeau pour avoir caser Sophie Cale. Et ensuite ?
En fait, j'attends d'en savoir plus. Tes attentes, tes orientations. J'ai débité cette tirade plus ou moins en pilote automatique. Je t'imagine mal évoquer des chansons de rupture sans rien avoir à l'esprit...
Comment dire ? Tu vois, j'ai cette chanson qui m'obsède depuis un mois environ. Ce titre fou d'Of Montreal, The past is a grotesque animal. Je n'avais jamais été obnubilé par une chanson de 12 minutes, alors je demandais si ça pouvait être lié à son caractère de "chanson de rupture".
Ah, Of Montreal. The past is a grotesque animal... Un sacré titre, fascinant en effet, une drôle d'expérience.
Je me suis laissé prendre par sa rythmique basique, sa longue bande musicale déroulée sur douze minutes, à première vue lassantes. Mais je me suis trouvé agrippé par les paroles presque incantatoires. Ce mélange imprévisible.
C'est en effet un bien surprenant pot-pourri. Un début comme une chanson new wave un peu classe, bien carrée, qui s'est retenu de certains penchants commerciaux des 80s, un titre qui aurait su capter l'esprit des petits groupes new wave. Leur danse statique. Mais étirer si longtemps cette rythmique, ces sons de synthétiseur répétitif, cela ferait plus penser à du prog rock, à du krautrock, éventuellement au glam prog de Roxy Music sur Mother of Pearl. Ce qui est cohérent avec le déchaînement instrumental des trois dernières minutes. Mais il ne faut pas oublier les feedback de guitare noise sur les premières secondes, et surtout, ses paroles sans fin.
Et quelles paroles. Je suis tombé amoureux de cette écriture, ces lignes et ces lignes qui ne semblent pas vouloir s'arrêter. Les paroles douloureuses qui se bousculent très lentement sur les lèvres, comme s'il fallait quelques secondes entre chaque vers pour bien formaliser les sentiments. Pour parfaitement trouver la formule adéquate, le vocabulaire recherché. On se trouve toujours au bord du cliché, de la poésie d'adolescent mélancolique, et pourtant, cela ne me paraît pas sombrer dans la facilité : "Sometimes I wonder if you're mythologizing me like I do you", c'est assez fort de placer un tel vers dans une chanson rock !
De l'excès, pousser l'excès dans ses plus profonds retranchements : ton couple bat de l'aile, vous vous engueulez, et tu ne te sens pas en forme. OK, ce serait un beau tour de force de faire tenir cela en deux ou trois couplets et trois minutes de balade, mais trois minutes, même belles, c'est presque frustrant alors, si tu en sens le besoin, pourquoi te retenir ? Noircis ton carnet de vers, d'allusions à Georges Bataille, de fille hystérique hurlant "Violence !", de cruauté prévisible, de jets de légumes à la figure, d'une pointe de regrets. Pas de demi-mesure ! Autant se lâcher, comme si c'était la première chanson de rupture jamais écrite, comme pour réinventer le genre. De toute façon, chaque rupture est douloureuse comme la première, si l'affection est profonde. Et cette sensation de réinvention s'entend tout au long de ce Past is a Grotesque Animal : oui, je l'ai rencontré, voici l'homme qui a découvert le chagrin d'une fin de couple. Innocence et sincérité, associée à une exploration formelle, ce n'est pas très éloigné de Someone Great, la chanson de LCD Soundsystem qui te passionnait à l'automne dernier...
C'est vrai. On retrouve une alliance similaire d'éléments hétérogènes. Une musique originale et surprenante, qui lutte avec de longues paroles sincères.
Tout à fait. Ce ne sont pas de bêtes chansons de ruptures à une dimension : pas du tout une mélodie triste sur laquelle on murmure des paroles tristes tout en ayant l'air triste, oh tellement, tellement triste. Ici, dans les deux cas, la musique et les paroles s'enrichissent réciproquement sans parcourir les mêmes sentiers. Chez Of Montreal, une mélodie sans fin et toute la violence des disputes affichée comme en direct, et chez LCD Soundsystem, un délicat assemblage électronique porte la mélancolie douce d'une relation déjà derrière soi. Et, même si on sort alors un peu du cadre de la musique elle-même, le physique des chanteurs enrichit également le trouble, le décalage de ces riches chansons. Ce gros nounours de James Murphy, les larmes aux yeux dans la vidéo d'All my Friends : il vante le jujitsu brésilien dans ses interviews, et le voici qui évoque sa peine, avoir perdu quelqu'un d'important, Someone Great ! Le chanteur d'Of Montreal est plus surprenant encore, dans les images de concert. Le voici totalement maquillé, une vraie star glam, avec paillettes sur les yeux, chemise vert pomme et joues rouges, et c'est ce pierrot en jean slim blanc qui nous hurle sa douleur pendant douze minutes... Certains crieront au manque de cohérence, je suis plutôt tenté de trouver cela impressionnant, de montrer la coexistence de plusieurs facettes !
Mais non, nous ne sommes pas un... Merci Doc pour tous ces détails.
Qui ne nous empêcherons pas d'évoquer une autre fois d'autres exemples de chansons de rupture. Pas le genre de chansons à passer de mode.
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