2008/02/17

Bientôt, je courrai 45:33 avec Doc Nick et LCD Soundsystem

- 3, 2, 1, play et partez.
Nous appuyons simultanément sur le bouton de notre baladeur mp3, et commençons à trottiner dans la Lotharstrasse. C'est amusant de voir Doc Nick avec un collant et des tennis aux pieds, et je ne parle pas de son bracelet en éponge...

Le Doc m'a envoyé un message il y a un mois environ : "Reprends l'entraînement. Il faut que nous allions courir ensemble prochainement. Pas de problème si tu ne tiens pas 45 minutes 33, mais bon, si tu pouvais me suivre un peu plus longtemps que 500 mètres, ce serait sympathique..."

Nous avions déjà un peu discuté du jogging et de l'iPod aux Etats-Unis. Particulièrement après mes promenades à Central Park en mai 2007, où on croise autant d'iPod que de coureurs là-bas. Je pense même que, dans Central Park, il est plus probable de croiser un coureur sans chaussure que sans iPod. A New York, on court en musique, ou marche en musique, selon cette mode amusante de la marche sportive, où l'on voit des femmes marcher rapidement, pas trop mais légèrement vite, mais avec tennis, bâtons, bandeau, tout l'équipement, et bien entendu, l'iPod. Par conséquent, oui, dans Central Park, il y a plus d'iPod que de coureurs, même dans les coins où on ne croise que des "sportifs". Alors, de même qu'à l'apparition du gramophone, il a fallu enregistrer des disques pour ne pas laisser les utilisateurs équipés mais sans musique, y a-t-il un marché pour la musique de jogging ? Ou au moins, des musiques plus appropriées que d'autres pour la course ?

"Les goûts et les couleurs, mon bon Cathead", m'avait répondu Doc Nick, un des ses détours habituels pour réfléchir à une réponse élégante. "Forcément, à chacun sa durée de course, son rythme. Un peu comme pour cette fameuse liste mythique, les meilleurs chansons sur lesquelles faire l'amour, dont nous finirons bien par parler. Peut-être au printemps. Mais, pour la course, on peut certainement mettre de côté les morceaux trop rythmés, qui causeraient la tentation d'accélérer le rythme, ou éviter les chansons aux textes trop compliqués, qui accrocheraient l'attention en permanence. C'est une musique d'accompagnement, non ? Un peu comme la musique d'ambiance, telle que l'avait théorisée Brian Eno : sans parole, dans laquelle on puisse entrer sans hésitation, au milieu d'un morceau, et abandonner en cours de la même manière. Qui n'agresse pas mais marche poliment à vos côtés. Court avec vous. Je vais me plonger un peu dans la tentative de LCD Soundsystem, et nous en reparlerons prochainement".

En effet, LCD Soundsystem a publié un mix entièrement dédié à la course. Commandé par Nike lui-même, au départ uniquement disponible par téléchargement, et intitulé 45:33, la durée de la course. Parfaitement phasé sur le rythme de course de James Murphy, avait-il assuré au moment de sa sortie. Les critiques rocks comme Pitchfork ou le NME se sont bien amusés avec ce morceaux, mais le mieux n'est-il pas de se mettre soi-même dans les conditions ?

Donc, sur les conseils de Doc Nick, j'ai repris la course il y a un mois environ. Par petites tranches de dix minutes d'abord, deux ou trois fois par semaines, puis en allongeant un peu la durée, et le mix de LCD Soundsystem n'est certainement pas étranger à la régularité de mon investissement. Quand on est fan, il faut l'assumer jusqu'au bout, et je ressens toujours une certaine excitation à sortir courir dans la brume de Duisburg, la douce impression d'enfiler un costume de New Yorkais : tennis, jogging aux couleurs un peu vives, et ce fameux baladeur mp3, et ce mythique mix, dont j'ai déniché la version CD au bout d'un grand magasin de disques de Cologne. En version Import, en plus.

Le soleil de cette semaine nous a poussé à fixer une sortie commune pour ce week-end. Il fait moins doux qu'en début de semaine, mais la lumière est éclatante quand nous tournons derrière les bâtiments L de l'université de Duisburg-Essen, dans la rue passant derrière les beaux pavillons de la Lotharstrasse. Nous n'avons pas dépassé les deux minutes trente, toujours la partie échauffement du mix, sa montée progressive. Nous entendons le passage à la 2ème piste juste avant d'emprunter le pont qui enjambe l'autoroute, le rythme monte tout doucement, piano, claquement de mains, et c'est heureux, la montée s'étend raide et longue avant de rejoindre le bruit incessant des voitures. Mais c'est à ce prix que nous pouvons atteindre le bois.

Je sens l'envie d'accélérer du Doc, mais il m'attend encore, et d'ailleurs, il ne connaît pas bien la région. Etrange, cette discussion silencieuse tous les deux, presque silencieuse. Le Doc ne peut s'empêcher de reprendre les rares paroles de cette piste deux, cette piste de lancement : une alternance amusante de "Shame on you" et de "You're number one for me", qu'il crie en plongeant dans les bois. Les promeneurs du dimanche nous regarde, et surprise, il y a aussi des marcheurs, avec tennis, équipement, paire de bâtons, lecteur mp3...

Les faux-plats du bois m'incite à la prudence, délicat passage à l'approche des 8 minutes de course, mais c'est le moment où s'avance le 3ème mouvement du mix, la version instrumentale de mon "Someone great" adoré. James Murphy a-t-il emprunté le même parcours que moi avant de mettre au point son mix ? Ces battements, ces sons électroniques frottant doucement une baudruche imaginaire, ces claquements de xylophone, toujours aussi envoûtants, et d'autant plus quand on connaît la version chantée. D'ailleurs, dans son élan chanteur, le Doc n'y résiste pas, il entonne doucement, "The little things that made me harassed, Are gone, in a moment. I miss the way we used to argue, Locked, in your basement." A peine entrecoupé de ces respirations, bien moins prolongées que les miennes. Je ne pourrais jamais chanter ainsi, il me manque un peu d'entraînement.

Mais quand le xylophone reprend le refrain, clair, naïf et beau, je n'y tiens, et me lance en choeur avec le Doc "And it keeps coming" encore et encore, une douzaine de fois, avec montée dans les aigus qui me tue définitivement. Je m'arrête, et le Doc continue. Il retrouvera bien le chemin, il suffit de se guider au son de l'autoroute, il trouvera.

Et d'ailleurs, c'est à peu près l'instant auquel je m'arrête d'habitude. Effet combiné de la durée déjà parcourue, vingt minutes, ma limite en cette phase de reprise, et puis surtout, de l'accélération du mix de LCD Soundsystem. Tout d'abord avec des tam-tam et une voix vocodée évoquant l'espace, une montée dont l'euphorie me pousserait certainement jusqu'au point de côté. Sans parler de la 5ème plage...

"J'adore la 5ème partie, plus rapide, avec sa trompette bizarre, sa basse bien précise, ses voix qui sortent de nulle part", me lance Dock Nick en arrivant à la Guesthouse, une vingtaine de minutes après moi. Il sourit sous la sueur. "Le NME a évoqué "Papa's got a brand new pigbag" pour ce morceau. Cela m'a plu, je zappe la plage 6 et ces douze minutes de descente un peu molle, et je lance Pigbag : tatatata tatatadonnonnon. Tu as une bière, Cathead ?" Si James Murphy permet à tous les rockeurs d'atteindre une telle santé physique, les reformations de vieux groupes ne vont pas manquer dans les prochaines années.

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