24 août 2007 - Rock en Seine - Parc de St Cloud
Oh Oh ohohoh oh ohoh OhohohOhoh
23h, la grande pelouse du Parc de St Cloud résonne pour le rappel d'Arcade Fire. Wake up, la foule bondit et chacun hurle faux la série de ohOh, pour conclure en beauté ce concert gigantesque. Arcade Fire, champions des meilleurs concerts de tous les temps : leur prestation à Rock en Seine avait été magique en 2005, ils planent encore très haut cette année en tête d'affiche.
Arcade Fire qui sort encore du lot, et pourtant, l'affiche de ce vendredi est d'une densité impressionnante. Les concerts d'ouverture à 16h ont été ainsi donnés par Dizzee Rascal, puis Mogwaï, connus pour être des tous petits groupes de première partie...
Et dès 17h45 arrivait M.I.A. sur la deuxième. Un personnage fort de la scène musicale, anglaise d'origine Srilankaise dont le père joue les terroristes, elle nourrit ses interviews de réflexions sur les relations nord-sud, sur l'intégration des communautés en Angleterre, sur le piètre niveau des occidentaux pour la vraie danse folle en club. Elle pose son débit de chant sur d'énormes basses et percussions, un rap engagé très très dansant. Son
deuxième album vient de sortir, et la presse le décrit comme le son le plus ambitieux de l'année.
Ce qui frappe rapidement, chez M.I.A., c'est l'originalité des ses goûts visuels. Des
couleurs vives, mélangées, c'était le cas dans ses vidéos, la toile violette tendue sur scène de St Cloud le confirme, et son costume de scène renforce l'impression. Collants or, énorme lunette de soleil, et un bustier en or et orange en guirlande de Noël. Un look fort, porté tout le long de la scène par son engagement dans la danse. Ses jambes toutes fines sont
toujours pliées, la poussant souvent en flexions presque intégrale, en pas de danses chassés sur la largeur, des mouvements de mains, des ondulations. Quelques morceaux peu connus par le public font baisser un peu l'ambiance, mais la danse irrigue souvent la foule, portés par les samples de mitraillettes, de
poulets, de tam-tam, de tout ce sur quoi on peut taper, de
musique Bollywood. M.I.A. finit dans la foule pour ce grand concert, même si la taille de la scène dilue un peu son intensité.
C'est le problème d'un tel festival, qui grossit année après année. Les scènes sont larges, massives, le son énorme rend difficile la finesse, les foules sans fin sur de grandes pelouses. Pas évident de générer un peu d'intensité, d'échange avec le public. Les Shins sont un exemple de concert finalement assez moyen. Ils ont été lâchés sur l'immense scène p
rincipale, et ils alignent leurs mignonnes chansons pop avec application, mais le décalage ne s'efface pas . Que vient faire sur un tel monstre de scène un groupe aux petites mélodies que l'on chérit dans sa chambre d'adolescent ? Les tubes sont tous là,
Australia , So say I, Kissingthe Lipless, mais le groupe ne génère pas vraiment d'enthousiasme par son activité, par sa présence sur scène, ils blaguent entre les morceaux comme on le ferait devant cent personnes, mais cela sonne creux face à une telle foule. Ce n'est pas ainsi que The Shins peut changer votre vie, rôle attribué par des films indépendants comme
Garden State.
Dans ce cas, la deuxième scène est peut-être une chance, comme le montre Emilie Simon. Elle génère une bien plus grande densité, une force transmise par sa musique dense, par l'originalité des tenues, des instruments sur scène, des choix musicaux, par les tensions qui tire l'énergie vers le haut. Emilie, botte noires dessous une robe blanche à étoiles noires, épaules nus, voix claire et parfaitement posée, la chanteuse parfaite et sensuelle, et dès sur scène, elle empoigne
une guitare bleue ciel pour la faire hurler électrique et répétitive. Des
riffs durs, des rythmiques électroniques marquées fournies par un personnage à cape, haut de forme et cheveux longs, une contrebasse, un percussionniste qui tape sur une caisse, dans un saladier d'eau, sur les cordes d'un piano à queue, c'est une musique riche, plein d'engagement des différents musiciens, mêlant la finesse de poèmes sur les fleurs aux agressions rock de guitare et de beat techno. This is modern rock, finesse de la voix au milieu des répétitions et des sons durs et agencés, et ça fonctionne, la prestation fascine jusque dans les reprises choisies, Peter Gabriel, I wanna be your dog hypnotique, et un final d'Emilie seule au piano pour un grand
Come as you are.
Des reprises de rock dure poussées dans tous les sens, ce serait un peu l'idéal d'un festival des années 2000, offrir des confrontations de style, et des citations, des clins d'oeil. En allant à Rock
en Seine, il est difficile de ne pas solliciter des images provenant de festivals héroïques, des Woodstock, des Glastonbury et autres festivals anglais, les meilleurs avec boue, public au look dément, bottes en caoutchouc sur mini jupe et coupe punk, foule qui saute en tout sens. Rock en Seine, on a notre mini-festival anglais à cinq minutes de Paris. Mini mare de boue, merci à la pluie des jours précédents, et un public aux tenues originales. La grosse séparation se fait entre les porteurs de tongs et les partisans des bottes en caoutchouc, certaines au décorations roses à fleurs, le dernier tiers des chaussures appartenant plutôt à la famille convers/chaussures sans talons, pour aller avec le jean et la coupe garage rock prisée par les lycéens. Et bien entendu, une poignée de personnages un peu plus spectaculaires...
Mais, pour un bon festival rock à l'anglaise, il faut avoir un passage très dansant pour voir une
foule sautant d'un seul bloc. Rock en Seine avait eu les Chemical Brothers en 2004, ou Vitalic l'an passé, et cette année, cela a été les grands 2manydjs, pionniers des bastards mix dans les années 2001. Mixer Nirvanan et des tubes techno, idéal pour un festival orienté rock, et le début de mix propose YMCA des Village People : ti tutu titudidu tidudu. Enfin, c'est ce à quoi à s'attend le public, après un premier jaillissement du seul ti caractéristique. Et là, les 2manydjs placent d'emblée la barre très haut, puisqu'ils étirent sur plusieurs minutes ce premier motif, en boucles hypnotiques et frustrantes qu'ils dévoilent tout doucement, font progresser peu à peu, jouant avec les envies du public, la boucle ti, ti, ti, ti, ti t, ti t, ti t, ti t, ti tu, ti tu, ti tu, montée progressive et très lente, portée par une énorme basse façon Benny Benassi. C'est fantastique, les deux DJs passent d'une platine à l'autre, s'échangent les casques, règlent ces boucles qui durent une poignée de secondes. D'ailleurs, pas plus de 3 secondes de cette intro de YMCA n'auront été utilisées...
Le public répond peu à peu aux élans électroniques des 2manydjs, et la transe dansante gagne la
foule pendant que la nuit descend. Les 2manydjs sont plus sobres que sur leur disque
As heard on radio Soulwax vol.2 (50 samples en 70 minutes, allant de Michael Jackson à Bassement Jaxx...), plus électroniques, avec simplement quelques saillies rock introduites avec classe. On entend donc deux fois Justice, forcément, nous sommes en 2007, mais aussi Sweet Dreams d'Eurythmics,
Joe le Taxi par un manequin japonais, et surtout, Rebellion (lies) d'Arcade Fire et Marcia Bailla des Rita Mitsouko. Deux groupes présents à Rock en Seine, jolis clins d'oeil, et le dance floor salue de ses fumigènes.
Mais cet enthousiasme pour Rebellion (lies) est surtout symbole de la focalisation faite sur Arcade Fire, têtes d'affiche de cette première journée. Entendant ce titre entre deux bombes électro, une partie de la foule s'eclipse pour rejoindre la scène principale...
Arcade Fire, c'est essentiellement pour eux que j'ai pris une place pour ce vendredi. Leur
concert de 2005, une épiphanie, un grand moment d'émotion, l'idéal d'un engagement parfait sur scène, avec changement d'instruments, percussions sur un casque sur une tête rousse, et une douzaine de moments qui m'ont donné les larmes aux yeux, soit une douzaine de fois plus que pour mes concerts les plus marquants.
Je ne sais pas trop quoi attendre. Je n'ai pas acheté leur deuxième album, n'en ai écouté qu'une poignée d'extraits, la peur certainement d'être déçu.
Et, bien entendu, je suis plus loin de la scène qu'en 2005.
Un orgue sur scène, des bibles en néon sur le fond, et "Keep the car running" en entrée, puis "No car go". En voiture.
La présence n'a pas disparu. L'engagement de chacun. L'intensité, la puissance d'émotion associée à l'énergie, ils semblent même meilleurs dans leur approche des anciens morceaux, maîtrisés et libérés à la fois, enrichis par la présence de deux cuivres, généralement des cors. Ils ont fait du chemin, ils s'en servent pour se laisser porter plus encore dans leurs assemblages à dix sur scène. Dix prenant un plaisir manifeste dans leur engagement, au service de ces chansons mélancoliques et s'appropriant chacun leur message pour se porter avec leur instrument.
Comme il y a deux ans, une des violonistes chante en jouant, alors qu'elle n'a pas de micro.
Arcade Fire, c'est un rock de troupe, une troupe de théâtre où à chaque instant les musiciens jouent tous ensemble tous les morceaux. Des personnages, serais-je tenté de dire, mais ils ne prennent pas la pose, c'est simplement leur personnalité, dirait-on, qui se libère sur scène dans leur engagement. L'organiste excité aux cheveux agités. Le guitariste roux qui parfois frappe follement sur tambours et lance son tambourin. Les deux violonistes, dansant sans arrêt, chantant, à cour. Le batteur qui laisse sa place sur la fin pour glisser vers un autre instrument. Les deux joueurs de cor, de saxophone, de trompette. Et le couple centrale, Win à la guitare, cheveux trempés de sueur, voix investie pour offrir ses parols pleines de crainte en grattant férocement sa guitare, et Régine, cheveux bouclés et petite robe rose, allant de l'orgue à la batterie en passant par l'accordéon, remuante, pétillante. Quel groupe.
Le premier album s'appelait Funeral, composé au milieu de plusieurs deuils des musiciens. Les chansons étaient inquiètes mais terriblement lyriques, hurlées, car c'est ainsi qu'on lutte, qu'on continue. Le deuxième album est moins immédiat, plus profond, plus fort en richesse suggérée, plus doux et plus désespéré aussi, plus varié, semble-t-il. Le groupe a visé de nouvelles, osant le dépouillement parfois, une guitare acoustique, quelques percussions. Simples, mais capables de créer une atmosphère pour une foule de plusieurs milliers de personnes, capable de reprendre Age of Consent de
New Order en version acoustique, avec classe.
La foule chante et bat de mains encore et encore, il est 23h15 mais tous chantent fort si fort Wake up.