2007/08/01

La ratatouille est bien mon plat préféré

Qu'est-ce qui peut susciter un tel enthousiasme de ma part pour Ratatouille, a priori exemple caractéristique du film mastodonte estival ?
Le grand public sera satisfait, il se verra offrir le divertissement qu'il est venu chercher. Je dois bien être honnête, une telle attente de divertissement de la part du grand public m'inquiète généralement. Le nivellement par le bas associé au terme "grand public", hélas.
Et je dois bien être honnête, le critique sévère ne sera pas déçu, il pourra dénicher quelques défauts typiques du genre. Deux ou trois raccourcis de scénarios, qui fusionnent en une scène deux événements à la coïncidence suspecte. Soucis du rythme, disons. En parlant de rythme, quelques séquences sont peut-être un poil répétitives : inventives dans leurs variations, mais pas forcément nécessaire. L'esthétique du Paris présenté donnera du grain à moudre pour ceux dénonçant la sous-culture américaine, ses clichés pour seuls repères internationaux. Et la machine hollywoodienne se verra épinglée pour sa tentation morale, son classique prends-ta-vie-en-main-petit.

Mais il faut toute de même être un peu attentif, ce film n'est pas un manuel des écueils du film à gros budget. Ici, ces défauts ne concernent pas 90% du film, comme pour certains ogres pétomanes...

Car la grande force de Ratatouille, c'est sa créativité. Son enchaînement de surprises, de rythme, de personnages, de vraie qualité cinématographique suscitant un vrai émerveillement. Nous n'avons pas là une simple pellicule servant à la décompression et à la disponibilité d'esprit post-sortie du bureau.

A mon sens, Ratatouille est une oeuvre exemplaire de ce que devrait être tout dessin animé moderne. Les studios feraient bien de prendre des notes durant la projection, de télécharger des versions sur Internet, et de regarder encore et encore...

Pourquoi parler de dessin animé moderne ? Tentons de présenter mon sentiment de non spécialiste. La modernité tient bien entendu à l'animation générée par ordinateur. Puissance des machines et tailles des budgets, les films sont chaque années superbes, mais chaque année plus détaillés. Toy Story et Shrek ont ouvert la brèche : tout peut être tenté, toutes les fantaisies visuelles rendues crédibles, et générer un gros succès.

Or, qu'obtient souvent ? Des produits. Le nombre des sorties annuelles de films d'animations a explosé ces quelques dernières années, et l'on retrouve toujours les mêmes recettes, la même veine parodique, les mêmes gags scatophiles soit disant irrévérencieux, de détournements répétés des mêmes fleurons culturels bateaux.
Des produits. Sans rythme, sans intensité, sans personnage. De vagues suites de sketchs. Même pas le niveau d'un histoire improvisée pour le petit neveu qui n'arrive pas à dormir.

Quel gâchis d'outils splendides.

Ne vous bridez pas sur l'histoire, sur la volonté de suivre un personnage, des personnages et de les voir évoluer. Pas seulement balancer des archétypes que l'ont dénouera par un cliché, sans aucun cheminement. Tisser la trame avec différents niveaux de personnages, des principaux, riches, un peu pensés, multiples, avec un contenu, une chair. Capables de générer un peu de sentiments, de créer une vraie présence. Une présence. Des personnages et pas des pions.
Bien sûr, garder quelques pions également, ces personnages secondaires qui viendront colorer, plus que faire la foule. Mais ne pas en faire des prétextes, de simples pochettes surprises à gags que l'on jette une fois balancée la réplique façon Grosses Têtes.
Ratatouille possède toute une galerie de personnages, certes assez tranchés, cela doit pouvoir être intégré rapidement par un public jeune. Mais tous dégagent une vraie existence, portent de vraies mimiques. Ils évoluent avec une véritable justesse, terme théâtral s'il en est. La justesse.

Car Ratatouille n'est pas un produit mais un film. Avec une certaine démarche cinématographique, une recherche et un respect de ce que l'on montre sur un écran. Pas un simple animé télé.
Il y a le jeu des acteurs, une belle direction, une mise en scène, il n'y a pas d'autre mot. Il y a de magnifiques mouvements de caméra, une superbe sensation de flottement, de légèreté. La caméra évolue librement puisque qu'elle est virtuelle, alors, enfin, on la voit tracer des courbes et boucles, changer de rythmes, tout en ruptures maîtrisés et belles. Ne bridez pas l'outil, le budget est conséquent, et il est rassurant de voir qu'il a été vraiment utilisé dans la gestion visuelle.

Ratatouille utilise complètement l'outil informatique et la liberté sans trop de bornes qu'il doit offrir. Les mouvements. La stylisation. La fantaisie. Un outil véritablement au service de l'univers choisi. Où les voitures ont des échelles étranges, très stylisées. Où les humains sont plus caricaturaux que les rats, petits animaux tellement mignons à côté des clowns humains. Où la farce, la théâtralité, la bande dessinée se voient mis en jeu.
Ratatouille, je me laisse emporter, mais c'est une oeuvre totale, très moderne dans son utilisation du patrimoine. Qui s'approprie les canons du dessin animé, les courses poursuites avec souris, qui respecte ces jeux. Qui joue avec les motifs de films de genre, l'exode du film catastrophe, la noirceur du film de résistant, la comédie romantique. Bien plus fort qu'un banal name-dropping, que des redites passe-partout de scènes célèbres, presque bande annonce, d'où ne sort qu'un goût de culture de masse ultra-diffusée.

Car la plus grande réussite de Ratatouille, c'est son mélange de réel et d'extrême stylisation. Il est fascinant de voir le soucis du détail, la densité des rues, le phare d'une Twingo garée en arrière-plan, les richesse des ingrédients de la cuisine, la documentation précise ayant sous-tendue sa reconstitution précise, allant jusqu'à la dénonciation de la misogynie des cuisines. D'une certaine manière, dans sa minutie, Ratatouille est un petit disciple de certaines pages de Georges Pérec, par exemple des Choses.
Et en parallèle, l'inventivité formelle est parfois poussé très loin pour un dessin animé destiné à un jeune public. Les visions des Rémy, sa conscience sous les traits du patriarche culinaire, poupée ronde et qui se fond un peu partout, malléable, multiple. Et surtout, une scène restera longtemps gravée dans mon esprit, presque psychédélique, une mise en scène visuelle de la synesthésie, serai-je tenté de dire. Et cela dans une salle comble pleine de gamins, où une petite fille de 5 ans jouait à cache-cache devant le premier rang !
Ratatouille, à sa manière, c'est un témoin de notre époque, à la fois dans ses détails et dans ses représentations métaphoriques. Un peu comme les meilleurs Spirou et Fantasio de Franquin sont de grands documents populaires des années 60, entre Mercedes chromées parfaitement dessinées et marsupilami.

Ratatouille, c'est la victoire d'une création ciselée avec passion.

Bon sang, je n'ai pas une miette du talent nécessaire, c'est le genre de film que je rêve de réaliser !

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