Dernier métro à l'aveugle
Minuit vingt à la station Campo Formio, métro 5. Deux stations jusque Gare d'Austerlitz, puis la traversée de la Seine pour attraper un des derniers RER A à la Gare de Lyon.
Je croise les doigts.
Une rame arrive à minuit vingt-trois, tiens, une aveugle avec sa canne blanche à l'autre bout du wagon. A Gare d'Austerlitz, elle demande à sa voisine de l'aider à descendre, jeune fille en conversation téléphonique "attends une minute, j'aide une aveugle à descendre. Faites attention, il y a une marche".
Je descends derrière elle. Une sortie à chaque bout du quai, laquelle mène le plus vite à la Seine ? Celle dans le sens du train qui vient d'arriver, qui va emprunter un pont pour franchir le fleuve, un peu de suite dans les idées nécessaire même à cette heure. La sortie où l'aveugle commence à descendre les marches, m'entendant approcher.
Bonjour, pourriez-vous m'aider à trouver l'arrêt du bus 61 ?
Bien sûr, on va se débrouiller.
Descende d'escalier, attention, madame, voici les portes automatiques, et regard sur les inscription du mur. Flèche montrant les escaliers sur la gauche, BUS 67 89 103 NOCTILIEN.
Il n'y a pas de 61 indiqué. Mais on va aller voir par là.
Moi, je ne peux pas voir, c'est vous qui allez voir pour moi.
Hé oui.
Voilà, on va prendre sur la gauche, il y a quelques marches, puis l'escalier tourne sur la droite, quelques marches encore. Tournez à gauche, on sort. Je regarde si je trouve l'arrêt du bus. Rien à l'horizon. On va sortir par la gauche, prendre la rue. Attention, il y a un trottoir.
Je peux prendre votre bras ? Ce sera plus simple pour se guider.
Jeune femme de vingt-cinq ans, je n'avais pas osé lui proposer, je l'avais à peine regardée, cheveux sombres, peut-être le teint indien, et longue canne à bout plastifié jaune, mais je ne peux en dire rien d'autre. Comme avoir cherché un équilibre en la détaillant pas, une pudeur. Nous suivons le quai d'Austerlitz, le long de la Seine, dans la direction opposée de la Gare de Lyon.
Je veux prendre le 61 pour rentrer, et je crois que c'est bientôt le dernier. Je ne voudrais pas le rater.
On va se débrouiller. Il y a un arrêt juste là. Il n'indique que le 67 et le 89. Attendez, je regarde le plan. Je ne trouve pas le 61.
Il faut continuer tout droit, et on finit par tomber dessus. Il n'y a personne à qui demander ?
Non, personne. Continuons déjà jusqu'au coin de la rue. On arrive au coin, il y a une avenue sur la gauche. Un autre arrêt. Ce n'est pas le bon numéro. Mais il y a des arrêts un peu plus haut dans l'avenue. Je vais aller voir, en vitesse, je vous laisse ici et je reviens tout de suite.
Couloir de bus à double sens et au loin un quai pour l'arrêt, je traverse en courant, en diagonale, je me dépêche jusqu'à l'arrêt, ce n'est pas le 61, et je regarde à nouveau le plan, je me force à le lire un peu plus calmement. Une ligne bleu ciel avec le numéro 61, mais où passe-t-il par ici, je ne comprends pas trop sur la grande carte de Paris. Je traverse en courant les quatre voies pour voiture, il y a un arrêt encore de l'autre côté, le même grand plan de Paris, mais aussi un petit plan photocopié avec les rues autour de la Gare d'Austerlitz. Un bel imbroglio. Mais le 61 passe en effet tout à côté, une petite voie courbe qui lui est réservée.
Il fallait bien continuer tout droite depuis la sortie d'Austerlitz, en traversant six voies d'avenue dans tous les sens. Je retourne vite vers elle.
Voilà, j'ai trouvé l'arrêt du 61. Il faut traverser la rue, venez. D'abord les deux voies de bus, allons-y c'est vert. Puis il faut attendre pour les premières voies. Voilà. Puis attendre à nouveau.
Voyez-vous un bus arriver, ou attendant à l'arrêt ?
En voici justement un qui arrive, vous avez de la chance. Allons, on peut traverser les dernières voies. Prendre légèrement à droite, un peu à gauche, voilà, je vais vous laisser à l'arrêt, on est juste devant et le bus arrive. Un peu à droite pour vous mettre devant la porte. Voilà. Vous pouvez monter. Bonne soirée.
Elle monte dans le bus, et je cours en sens inverse, quai d'Austerlitz jusqu'au pont, tout le pont de la Seine, traverser l'avenue au rouge en se pressant, l'horloge de la Gare de Lyon éclairée en ligne de mire, minuit quarante, ça devrait passer. Je remonte l'avenue de Bercy, un parking, elle sent bon cette gare, non, et je m'engouffre dans le hall. Juste des lettres indiquées sur des panneaux carrés bleus, le nom des voies grandes lignes, où se trouve le RER ? Une flèche tournée vers la sortie, faut-il encore ressortir, je la suit, elle mène à un coin sans issue. Une simple porte métallique, un ascenseur.
Cours jusqu'au quai. Deux trains affichés. Cergy dans cinq minutes, Rueil-Malmaison dans quatorze. Le temps de lire dans le dernier métro.
Mesdames et messieurs, je vous invite à descendre, ce train est terminus Rueil-Malmaison.
Je me place devant la porte, prêt à ouvrir, attendant le signal pneumatique indiquant la libération des serrures. Quatre personnes autour de moi. Pas de bruit, j'appuie pour voir, la porte reste immobile, comme les deux autres de la rame, à ma droite et à ma gauche, je réappuie et rien. Il faut attendre un peu.
Ah, je suis xénophobe, moi. Je suis xénophobe. Je ne vais pas supporter ça très longtemps.
Un jeune homme, et sa copine, elle rit.
Mais non, pas xénophobe. C'est pas ça.
Ah non. Comment on dit déjà ? Comment on dit ? Claustrophobe. C'est ça. Je suis claustrophobe. Oh la la. Non, je ne suis pas xénophobe, moi. Regardez monsieur.
Mais je vous crois, moi, pas de problème.
Il montre un feuille photocopiée à un homme aux cheveux gris à ses côtés, qui a l'air convaincu par son regard. La porte s'ouvre enfin.
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