Samedi 19 mars, immense ciel bleu sur Ottawa, le printemps s'invite et la neige fond. Pas un nuage, température douce : un temps à promenade, un temps pour jouer de l'appareil photo dans les rues de la ville, à traquer les scènes amusantes, photogéniques. Lumineuses ; c'est le retour du beau temps.
Un beau à photo qui donne d'autant plus envie d'aller jeter un oeil au triste quartier de Beechwood, à peine remis d'un terrible incendie. Le goût de se confronter au fait divers triste conforté par le plaisir de la promenade...
Mercredi 16 mars, un incendie s'est déclenché dans un magasin de matériaux, où étaient entreposés charbon de bois, peinture, diluants, méthane. Un triste assemblage de produits dangereux qu'il n'a pas été facile de maîtriser. Les comptes-rendus de presse présentaient des chiffres impressionnants et tragiques, évacuation de famille, une dizaine de commerces détruits dans ce quartier riche en magasin, fumées toxiques, longue lutte des pompiers. On est loin des échelles dramatiquement inimaginables du désastre japonais, mais la destruction sort tout de même de l'ordinaire du fait divers ; un peu plus qu'un accident de voiture pour la couverture des journaux gratuits locaux.
Sans oublier quelques anecdotes tristes mais hautes en couleur. Les dommages causés à une galerie d'art proche, dont la belle collection comportait des toiles du fameux
Group of Seven ;
CBC n'hésite pas à évoquer le chiffre d'un million de dollars : valeur estimée de la collection, sans rapport avec le coût des pertes, mais cela impressionne. Toutefois moins impressionnant que le plaisir coloré du journaliste, détaillant l'évolution des fumées, passant du noir au blanc ou au jaune ; un peu de poésie naïve pour un bilan toxique certainement peu reluisant...
Le quartier semble bien apaisé sous le joli ciel bleu du samedi, trois jours après les déchaînements plus chimiques. La chaussée est réduite devant l'ancien entrepôt, les trottoirs barrés par des grillages. L'espace n'est plus qu'un tas de briques. La boutique du barbier voisin n'est pas en très bonne santé ; le boulanger un cran plus loin est miraculeusement ouvert, clamant sa joie par un grand papier vert portant un soleil et le message "YES WE ARE OPEN !!!".
Il est presque surprenant de voir des immeubles debout autour du désastre. Murs au fenêtres éclatées, murs aux traces noirâtres, murs léchés par les flammes. Mais quelques mètres à peine au dessus de la cour détruite, les balcons semblent bien calmes et intactes, les chaises ne semblent pas avoir été déplacées.
Dans l'espace libéré par les murs effondrés, on aperçoit la maison de retraite, immeuble évacué durant l'incendie. Barre de brique bien verticale encore sur la toile du ciel.
Tout le monde jette un oeil en passant dans la rue. Comment pourrait-il en être autrement ? Des petits groupes s'arrêtent devant les grilles, observent les briques, discutent, évoquent certainement des anecdotes, des souvenirs du bâtiment, des ouïe-dires, des commentaires ; quelle désastre, quelle tristesse ; quelle malchance. On tend le doigt, pointe une brique parmi le tas, une fenêtre un peu au fond sur la gauche. Les couples prennent des photos, jouant du téléobjectif à travers le grillage vert. Je ne suis pas le seul photographe amateur ; je suis même le moins équipé du lot, assurément.
Une pelleteuse derrière l'amoncellement de débris. Je n'ai pas fait attention à elle, je ne me souviens pas si elle fonctionnait ; c'était un samedi, à l'heure du déjeuner. Mais il y avait bien trois types en jean, fourrure polaire (c'est le printemps canadiens, à peine 0°C, plus chaud encore au soleil), casques blancs. Des ouvriers, des maîtres d'oeuvres du nettoyage, des experts ? Ils observaient la façade intacte avec attention, même un samedi midi.
Je n'ai pas osé leur demander s'ils en savaient plus sur la collection d'art à un million de dollars. Mais je reviendrai.
March, 19th, 2011 - Beechwood Avenue - Ottawa