2007/12/05

n°23 - Singles pop dans les films

n°23

La force d'un grand single pop tient dans sa capacité d'explosion instantanée, refrain et mélodie immédiates qui s'imposent à l'esprit, et cette évidence se distingue plus encore quand elle surgit par surprise et sans préavis. C'est ainsi que le cinéma peut souvent jouer le rôle de révélateur, propulsant une chanson hors d'un contexte attendu, lui laissant toute liberté, et souvent, la chanson en profite.

Bar sans envergure au milieu de la campagne américaine, les filles portent des mini shorts en jeans et se font payer des coups par Quentin Tarantino, patron du bar. Tout papote, joue du téléphone portable, boit et traîne, c'est la sortie morose du samedi soir dans l'établissement qui bouge le plus de la région. Et soudain, le jukebox éclate, les cuisses banales deviennent frétillantes de sensualité jeune, voici l'explosion glam du "Jeepster" de T-Rex. Un riff magique, la section rythmique parfaitement produite de l'époque, et la voix qui coule : tout pour avoir les larmes aux yeux grâce au Dolby UGC. Merci Quentin pour tes BO sans faute.

Alors, bien entendu, Jeepster s'intègre parfaitement à l'esthétique 70s de Tarantino, à la cohérence de ses films, et joue plutôt bien son rôle de contextualisation. Mais l'effet peut s'avérer plus fort encore quand le film dépasse l'exercice de style tarantinesque. Liban, années 80, guerre sans fin avec la Syrie, l'atmosphère de plomb déteint sur tout le quotidien pour faire des habitants des marionnettes au bord de la crise de nerf. Une famille bourgeoise se déchire en scènes d'hystérie répétées, où se perd une domestique à la vingtaine romantique. Elle téléphone en secret, rit, flirte, et enfin se promène avec son amoureux en voiture, cheveux aux vents du large et du "Heart of Glass" de Blondie. Longue scène au mouvement splendide, plan au son du tube de Debbie Harry, et le brillant du ciel et du soleil se teinte des années 80, des hits internationaux, de l'émancipation féminine de cette chanteuse de groupe punk. Merci encore, Danielle Arbid.

Et ce dialogue entre le film et la musique peut également enrichir la chanson elle-même, former un précipité magnifique où les différents ingrédients s'assemblent pour ouvrir des pistes dans plusieurs directions. Une des dernières scènes de "Paranoid Park" de Gus Van Sant, l'adolescent brûle le manuscrit de son journal intime, geste extrême de la catharsis de l'écriture, et l'image dure longuement, les mouvements de la flamme au premier plan qui aspire peu à peu les feuilles introduites une à une. Une image tout en contraste, mouvement d'une haute flamme orange devant un arrière-plan sombre, avec pour accompagnement "Angeles" d'Elliott Smith, soutien teinté d'émotion profonde mais simple. La scène s'écoule très forte, mais elle peut se lire également au travers du destin d'Elliott Smith lui-même. Gus Van Sant avait déjà utilisé ce morceau dans "Good Will Hunting" en 1998, chanson nominée aux Oscars, ayant aidé à la renommée d'Elliott Smith. Celui-ci s'est suicidé il y a trois ans, asphyxié par une angoisse de plus en plus profonde, et il est difficile de ne pas voir dans cette scène de "Paranoid Park" un geste envers le chanteur, dont les chansons n'avaient pas su jouer leur rôle catharsique...

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