2008/03/25

Mon amour frustré pour Juno et ses potentialités mythologiques

J'adore tomber amoureux et à coup sûr, c'est une des raisons de ma cinéphilie. J'aime cette douce excitation quand je sens un film me gagner et me séduire, le sourire qui grandit au délicieux rythme de la cristallisation, qu'elle se construise autour de plans superbes, d'un coup de coeur pour le jeu d'un comédien, ou d'une musique parfaitement ajustée. Un coup de foudre immédiat ou une lente séduction sur la durée du film, venant à bout d'une perplexité initiale. Tout récemment, j'ai été conquis par la construction magnifique de Psycho, par le jeu des actrices de la Vie rêvée des anges, par les images si bien assemblées du Mépris. Pure émotion d'amateur ravi et délicieusement surpris.

Et, pour moi, les plus douces de ses cristallisations se déroulent souvent a priori. Ainsi, j'aime beaucoup rêver à un disque à partir des critiques lues sans en entendre une note, et de même, je tombe amoureux de films à partir de petits détails éparpillés, récoltés avant les séances. Les bandes annonces de Lost in translation ou de la Vie aquatique m'ont bercé plusieurs semaines avant de les admirer depuis mon fauteuil rouge dans l'ombre, et souvent, ces films longuement adorés ont su me réserver des émotions plus fortes et des surprises magiques. Les dix premières minutes d'Eternal Sunshine of the Spotless Mind ont bousculé toutes mes attentes, m'ont conquis, éberlué, et ces dix minutes seules restent à mes yeux l'un des plus beaux films que j'ai vu.

Bien sûr, la confrontation avec ces chef d'oeuvres adorés de loin génère son lot de mauvaises surprises. Je suis tombé amoureux de Lady Chatterley le 1er novembre 2006 en lisant la critique du Monde, dans l'avion m'emmenant vers l'Allemagne, et à mon retour, j'ai couru au cinéma dès que possible, le 2 janvier 2007. La progression très progressive du film m'a laissé perplexe et frustré durant près d'une heure, dans une lourde expectative. Avant de m'éblouir peu à peu, mais l'inquiétude m'a longuement tenaillé : cela allait-il être un chagrin cinéphile ?

Mais, parfois, rarement, aucune étincelle n'a lieu, et c'est un profond dépit amoureux qui surgit, nourrissant une amère agressivité critique. Bon sang, ce n'est pas possible, ce Juno m'a paru d'une terrible pauvreté !

Juno, ce petit bijou de cinéma américain indépendant, plus grosse recette de l'année 2008 jusqu'à présent, au scénario récompensé d'un Oscar, dont l'actrice de 20 ans à peine s'est vue louée un peu partout pour sa justesse. Oui, ce Juno-ci, dont la sortie allemande tardive me frustrait, sans parler des risques de ne pas trouver de Version Originale à me mettre sous la dent du côté de Düsseldorf. Ce Juno, qui a su me faire apprécier la tempête de neige découverte au matin du lundi de Pâques : mais oui, tant pis pour les promenades potentielles, il nous reste Juno à courir voir au Cinestar de Düsseldorf !

Le générique d'ouverture se construit en petit dessin animé, monté sur une musique néo-folk du meilleur goût, et commence le défilé des délicieux ingrédients attendus, prévus par le schéma. Cette magnifique Juno, ses 16 ans et ses vannes construites au millimètre, sa répartie parfaite, et sa terrible situation, oui, elle est enceinte. Mais qu'importe, tous les personnages sont tellement pittoresques, avec leurs petits détails assemblés et exposés devant nous : mon dieu, comme c'est mignon, le jeune père de l'enfant porte des shorts jaunes et raffole des tic-tac à l'orange, et puis, trop fort, il ne sort presque jamais sans bandeau éponge, jaune lui aussi.

Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Tout cela me laisse totalement froid, décortiqué de loin, prévisible, mécanique, juste un bon boulot parfaitement professionnel. Suis-je aigri, suis-je über snob, suis-je incapable d'aimer ?

Je n'arrive pas à mettre de côté cette terrible impression de pauvreté de la réalisation. Ce Jason Reitman, fils du réalisateur de Ghostbuster, joue parfaitement avec les codes, proprement mais avec un affreux manque de génie et d'originalité, à mon sens. Déjà, il ne doit pas y avoir plus de quatre beaux plans dans le film : gros plan sur des shorts jaunes agitant leurs testicules, une caméra qui fend la foule du collège derrière Juno la grosse, un large plan en plongé sur une route. Et un zoom arrière finale pas trop mal.

Mais nous sommes dans un film indépendant, que diable, on peut comprendre que le budget ne passe pas dans les magnifiques recherches en cinémascope, tout le monde ne s'appelle pas Gus Van Sant : heureusement, sinon peut-être ferions-nous une overdose de plans de nuages. Le cinéma indépendant de Sundance, ce sont des détails si bien sentis et pittoresques, et une musique si jolie, et la checklist a été parfaitement cochée. On retrouve les gags vestimentaires récurrents des coureurs aux shorts jaunes et une agréable compilation de morceaux folks. Je dois avouer avoir apprécié de retrouver ici une chanson de Belle&Sebastian, mais tous ces assemblages m'ont paru de vulgaires compilations au crayon de couleur, sans jamais pousser l'idée à fond, sans jamais parvenir à créer une folie profonde et terrible. Mais où sont les joggings bleu layette de Steve Zissou, le jus de pomme de la maman de Brick, l'humour parfois noir de Little Miss Sunshine ? Pourquoi avoir esquissé mais n'avoir jamais voulu créer un peu de rugosité ?

Néanmois, il faut bien l'admette, la comédie de Sundance est finalement l'un des genres les plus codifiés du cinéma américain, remplissant la vacuité des bêtes comédies lancées par les grands studios hollywoodiens. Un genre, qu'importe si le film n'est pas très original dans son traitement, il reste à apprécier les belles choses qui s'animent dans ces limites définies. A savoir, ici, ce scénario oscarisé et les dialogues ciselés par Diablo Cody, célèbre pour son blog de strip-tease. Et là, déception toujours, le scénario m'a paru bien léger également, des scènes inutiles, des approfondissements de personnages qui m'ont manqué, et j'ai tenté de ne pas penser à Eternal Sunshine et ses rebonds magiques, eux aussi oscariés. Ici, il y a bien toute une ribambelle de bons mots, dont une partie a dû m'échapper pour cause de version originale, mais l'esprit des réparties m'est vite apparu lui aussi prévisible, mécanique, pas vraiment renouvelé au fur et à mesure du film...

Horreur, quel peine-à-jouir !
Oui, j'ai été rapidement horrifié par mon agacement systématique devant tout ce que me présentait l'écran. Merde, déjà, c'est du divertissement de bonne qualité, et ensuite, il doit bien être possible d'extraire quelque chose de cette mignonne petite pellicule !

Je me suis donc forcé à observer froidement, à mettre de côté mes réactions négatives. Puis j'ai ressassé, tourné les détails, essayer d'aborder le parti pris de ce film, sa cohérence, indépendamment de mes attentes frustrées de grand cinéma. Déconstruction poursuivie longuement jusque dans mon lit, sans vouloir m'endormir déçu.

Je n'ai pas été totalement rassuré par mes efforts de réflexion, assurément parce que je suis encore loin d'une parfaite faculté d'analyse cinématographique. Je pense que mon erreur d'approche tient à mes attentes de film à large spectre, aux multiples personnages et en larges tranches de vie, comme Moi, toi et tous les autres avait su m'en proposer avec ses pistes narratives parallèles, ces adultes, ces enfants alternant, sa poésie. Comme l'indique le titre, nous avons ici droit à un portrait, le film se focalise donc presque uniquement sur Juno, et la belle performance d'Ellen Page soutient l'histoire, proposant une poignée de moments discrets et émouvants, une belle incarnation du personnage, de jolis regards.

Et que nous raconte le parcours de cette adolescente de 16 ans ? Pas forcément un bête message pro-life, comme pourrait le laisser penser le refus d'avorter, à peine bazardé en trois minutes au tout début. Juno, c'est une fille qui se cherche et hésite, qui a une forte personnalité mais aussi des rêves vagues, une amitié tellement forte pour un type un peu nerd. Elle se trouve enceinte, et sent, inconsciemment, que mener l'affaire au bout des neuf mois l'aidera à s'affirmer, ou, au moins, veut voir ce que tout cela va mener. La gouaille joue aussi ce rôle de masque, de béquille anti-faiblesse, et, en feignant de trouver un peu original cette dualité assurance / masque, en oubliant un instant les tics paresseux de réalisation, on obtient un squelette pas inintéressant. Ouf !

Me voici donc face au parcours potentiellement riche de cette adolescente, et que puis-je donc en faire ?
Premièrement, il pourrait être bon de revoir le film, pour évacuer ses couleurs et me focaliser sur la richesse qui m'est restée cachée, pour m'assurer de ne rien rater des jolis instants, des subtiles ajustements psychologiques. Et puis, je l'avoue, une envie de me saisir de ce schéma me gagne peu à peu, en réécrire la trame, en inventer des scènes et en détailler des aspects transverses. Prendre ainsi au mot mes éclats de "mais pourquoi ne se sont-ils pas attardés sur ces points ?" ! Donner plus de corps à ce squelette, lui construire une chair à ma façon et ainsi m'emparer du mythe pour explorer ces possibilités mythologiques : finalement, le prénom Juno n'a-t-il pas été choisi en référence à Junon, épouse de Zeus ?

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