2008/03/02

Faire l'amour, un subtil et profond plaisir littéraire

Marie et le narrateur viennent d'arriver à leur hôtel de Tokyo, accompagnés par de nombreuses malles. Près de cent quarante kilos de bagages éparpillés dans leur chambre du seizième étage, des piles de robes sur le lit, un portant de voyage. Avec les différents vols, ils n'ont dormi qu'une poignée d'heures sur les deux derniers jours, et la tension accumulée n'allège pas leurs rapports. Marie pleurait déjà dans le taxi les emmenant de l'aéroport.

Dans cette nuit brouillée par le décalage horaire, ils vont faire l'amour pour la dernière fois, sans passion, sans jamais se détendre, sans s'écouter. Ils vont fuir, puis sortir comme en pyjama dans la neige de l'hiver japonais, marcher sans but pour oublier l'absence de sommeil. Ils vont se disputer, prendre conscience de leur rupture inévitable.

Le lendemain matin, Marie pleurera en silence derrière ses lunettes noires, et le narrateur sautera dans un train pour Kyoto (simplement accompagné d'une forte fièvre et d'un rhume)

Avec Faire l'amour, paru en 2003, Jean-Philippe Toussaint nous offre une nouvelle histoire de couple tiraillé, comme dans La salle de bain, comme plus tard dans Fuir. Très peu de personnages secondaires autour de ce couple, une action décrite sur de courtes périodes, voici encore une fois un récit net et précis, centré sur un sujet tellement français : un couple se sépare. On pourrait croire à un film du microcosme parisien.

Mais Toussaint séduit par la précision de son style. Les phrases sont simples, sans richesse excessive. Un style fin, tout son style passe par le rythme, l'ajustement précis des mots, des paragraphes. Il n'est pas besoin d'en dire plus, et ces scènes réglées séduisent immédiatement l'amateur ravi de ces retrouvailles, ou emportent l'adhésion après quelques pages, pour le nouveau venu.

Un rythme parfaitement maîtrisé jusque dans sa capacité à introduire les ruptures à bon escient, les accélérations, une phrase ou deux soudain ne veulent plus s'arrêter et continuent encore et encore en entraînant le lecteur qui ne peut que suivre les lignes, les mots sans une virgule, le souffle de pensée qui aspire derrière lui tout l'air de l'esprit jusqu'à le surprendre encore et encore.

Ou parfois quelques énumérations. Mais rarement. Toussaint n'abuse jamais d'un procédé.

Et cette maîtrise technique s'affiche au service des nuances du récit. Nous voici face à une situation façon Lost in translation, un couple noyé dans le jetlag d'un hôtel de luxe de Tokyo, mais l'auteur évite la situation monolithique. Pas de théâtre unidimensionnel centré uniquement sur la chambre, poussant parfois jusqu'au bar ou dehors pour un karaoké. Par petites touches, Toussaint glissent ses deux personnages dans la neige, dans une galerie d'art, dans le métro, dans un train, dans une piscine surplombant la ville, à Kyoto. Les situations restent liées et proches, mais la cohérence sait s'illustrer de plusieurs facettes.

Cependant, la face la plus riche de cette cohérence à plusieurs dimensions, c'est certainement ce profond sens de l'étrangeté. Toussaint introduit des situations surprenantes, pas uniquement liées aux surprises pittoresques du Japon. Ainsi, dès la première ligne apparait un mystérieux flacon d'acide chlorhydrique, et ce produit imprévu sera suivi d'un fax reçu en pleine nuit, d'un club de sport visité la nuit, d'une sortie pieds nus dans la rue, d'un tremblement de terre. L'humour, le symbolisme et la surprise s'invitent dans les phrases simples et précises, et l'on découvre peu à peu une profondeur originale.

Pages après pages se construit donc un cheminement psychologique fouillé, à l'aide de scènes frappantes au fort pouvoir visuel et évocateur. Les formules et les images marquantes parviennent ainsi à piéger la durée dilatée de cette période brève, mais charnière, ces quelques jours dont les détails resteront mémorisés un à un. Une période de rupture amoureuse, ses anecdotes et ses remises en cause, et par là toute son universalité.

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