2008/03/15

Films dans le Nord vs. Film sur le Nord

Pour la deuxième semaine d'affilée, "Bienvenue chez les Ch'tis" est en tête du box office. Et pas seulement français : ses 9 millions d'entrées en France sur deux semaines, record en la matière, en font même le champion du box office mondial hors Amérique du Nord. Malgré une diffusion limitée à 3 pays francophones (France / Belgique / Suisse), la comédie à la française devance Rambo ou 10.000BC, diffusés dans plus de 20 pays avec d'énormes budgets marketing. Les Chtis ont ainsi la fierté de récolter plus de 76 millions de dollars de recette (cf Box Office Mojo).

Alors, bien entendu, je n'ai pas vu ce film, loin d'être déjà diffusé en Allemagne, d'autant que la retranscription de l'accent chti en allemand ne sera pas aisée... D'après les bandes annonces et extraits dénichés sur Internet, ces Chtis semblent proposer de jolis gags, de beaux clichés, des acteurs mignons et un scénario plutôt inoffensif. Facile et Léger, avec assurément beaucoup d'efficacité, pour les amateurs de cinéma pour se vider la tête.

La recette suit les canons des récentes "comédies françaises à thème", qui avaient si bien réussi pour Camping il y a quelques années. Choisissez un thème clair et qui parle au plus grand nombre : le Nord / le camping / Claude François / le foot / la jetset. Réunissez un grand nombre de personnages, chacun présentant un profil très précis, avec de préférence une opposition entre un cadre ou un notable et la France d'en Bas, à la manière des vieux De Funès. Saupoudrez de grosses vedettes, et si elles viennent de la télé ou sont humoristes, c'est mieux : Danny Boon / Kad / Frank Dubosc / Benoît Poelvoorde / José Garcia. N'oubliez pas un titre qui ne trompe pas sur la marchandise : Bienvenue chez les Chtis / Camping / Podium / Trois zéros / Jet Set. Mélangez, et qu'est-ce qu'il reste ?

Souvent beaucoup de spectateurs, mais hélas, rarement une vraie et bonne histoire. Les gags s'enchaînent autour d'un vague prétexte, le rythme retombe parfois, et finalement, quelques formules marquantes restent et la vacuité de l'ensemble s'efface. Ces Chtis ont l'air attachants et riches en moment mémorables, mais sont-ils plus profonds que les grimaces disco de Claude Poelvoorde ? Revoir Podium en vidéo reste un abominable souvenir de cinéphile, exposant de manière criante l'absence de fil directeur et la facilité d'ensemble du projet.

Des films commercialement efficaces, et bénéfiques pour les parts de marché du film français, mais qui diffusent, à mon avis, une idée trompeuse sur la manière d'affronter un sujet. Quel est le meilleur moyen de parler du Nord ? Hé non, certainement pas de faire un film SUR le Nord ! En effet, le risque est alors grand d'accumuler les clichés, en plaquant une histoire bancale afin de créer un semblant de lien. Une peinture caricaturale et bon enfant, au mieux. Artificiel et superficiel.

Il me semble bien plus convaincant de privilégier l'histoire et les personnages, leurs interactions, d'élargir au maximum les thèmes, et d'intégrer ces éléments forts dans le cadre que l'on cherche à présenter. L'évolution des personnages dans ce cadre le rendra naturellement visible à l'écran, fera intervenir les particularismes que l'on cherche à présenter, en évitant les lectures superficielles. Schématiquement, c'est la différence entre une demi-journée de visite touristique et une installation de plusieurs mois dans un lieu. Dans le premier cas, on saute de passages obligés en hauts lieux, guide en main, on goûte les spécialités, et il n'est pas évident de s'écarter des idées reçues : une belle collection de photos et de bons moments, sans plus. En revanche, à vivre dans un lieu, on peut découvrir la réalité quotidienne, l'intégrer pleinement au décor et percevoir avec justesse l'esprit du lieu ou de la communauté. Et ce, sans mettre entre parenthèses tous les événements importants de notre vie, c'est-à-dire toute la richesse narrative et de sentiments !

Ainsi, quelles que soient les qualités des Chtis dannyboonesques, je me sens plus attiré par les films qui se déroulent DANS le Nord, sans forcément en faire leur sujet central. La région et ses habitants comme coloration et valeur ajoutée, plus que comme communauté figée dans un musée régional. J'ai ainsi vu quelques films plutôt convaincants se déroulant dans le Nord, ou en Belgique wallonne, que j'inclus à mon énumération pour certaines caractéristiques proches : proximité géographique, poids du passé industriel... "La raison du plus faible" de Lucas Belvaux se déroule ainsi à Liège, mais l'évocation des ouvriers licenciés d'une aciérie ne me paraît pas très éloignée des questions industriels du Nord de la France. Le film affronte peut-être un peu frontalement son sujet de détresse sociale, mais les personnages s'affichent à l'écran avec une finesse rare, des interactions fortes. Aucune scène n'est uniquement centrée sur l'addiction d'un des personnages à la bière Jupiler...

Les films des frères Dardennes me semblent plus convaincants encore pour transmettre l'ambiance de ces régions du Nord et de la Belgique. Le contexte de l'action n'est jamais surligné, le film se déroule simplement là, sans nécessité de braquer la caméra sur les spécificités caricaturales. Elles se diffusent doucement dans les architectures, les accents authentiques des comédiens. Au cinéma, il n'est pas nécessaire d'insister, une image suffit généralement, comme dans "La vie rêvée des Anges" d'Erick Zonca, un doux travelling final sur des femmes dans un atelier. Ce film est d'ailleurs un exemple assez extrême, puisque, au début de l'écriture du scénario, ces deux femmes paumées ne devait pas évoluer à Lille : la place de la ville est des plus effacées dans le récit. Cependant, les quelques images liées au monde industriel, les vues des modernes rues piétonnes associent le film à ce contexte lillois.

Mais mon film préféré se déroulant dans le Nord est sans hésitation "Quand la mer monte" de Gilles Porte et Yollande Moreau. La splendide histoire d'une comédienne de one-man show et d'un porteur de géants de carnaval. L'évolution de l'affection entre ces deux personnages est magnifiquement rendu, un des points centraux du film, au même niveau que la tournée solitaire de cette comédienne. Mais le décor du Nord se glisse dans tous les plans, dans le superbe accent flamand du comédien Wim Willaert, sans se trouver jamais surligné d'un lourd "VOICI LE NORD", malgré la présence de scènes typiques de carnaval. Cette histoire glisse dans le Nord, tout en douceur, sans donner l'impression d'une collection systématique de clichés, juste des instants de vie remplis de naturels. Et ce naturel se trouve assurément dans l'approche du réalisateur pour tourner une fête de carnaval dans un bar : remplir le bar de fêtards, les laisser boire et s'amuser pendant une heure ou deux, puis introduire délicatement la caméra dans la salle, comme à l'improviste, pour capter l'atmosphère festive avec justesse. Un choix de mise en scène pour effacer au maximum l'impression de mise en scène, et tout tournoie à l'écran à l'unisson des chants et des danses, au milieu desquels l'accent du Nord paraît tellement léger.

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