2008/03/09

Filmkunstkinos in Düsseldorf: Mnouchkine, Caubère et Molière un dimanche

Jeudi dernier, jour des sorties cinéma en Allemagne, j'ai découvert un terme allemand pour "cinéma d'Art et d'Essai" : Filmkunstkino. Ainsi, à Düsseldorf, il existe sept petites salles diffusant des films un peu plus choisis que ceux qui constituent l'ordinaire des multiplexes allemands. Ces salles proposent même une page internet, pour ne rater aucune séance en version originale.

Alors, entendons-nous bien, ces sept salles ne tissent pas un petit quartier latin au bord du Rhin. Les films restent majoritairement récents et américains, rarement en version originale, et certains laissent perplexes, comme "U2 3D" : magnifique projet artistique que la retranscription 3D d'une tournée du plus grand groupe rock du monde... Mais seules ces salles diffusent des films comme "I'm not there" ou "There will be blood", films américains pour festivals internationaux dont la diffusion allemande laisse rêveur. Et puis, miracle, certains films ont droit à une séance en avant-première en version originale. Mieux que rien, mais Paris reste loin.
Mais une des salles de ce réseau se démarque, le Black Box. Intégrée au Musée du Cinéma, elle propose régulièrement des films français, espagnols, italiens, deux ou trois par langue et par mois. Son cadre lui-même est des plus charmeurs, puisque le Musée du Cinéma est bâti sur les bords du Rhin, dans l'Altstadt, avec à ses pieds un bassin où flotte un voilier. Des cafés et des magasins de bibelot sont nichés dans les immeubles modernes qui entourent ce bassin, en faisant un lieu de promenade sympathique, ce qui agrandit le sourire en foulant les pavés qui mène au Black Box.
Et le sourire est particulièrement vibrant ce dimanche, car cette première visite au Black Box ne fait pas les choses à moitié. Il s'agit en effet d'aller voir le film "Molière" réalisé par Ariane Mnouchkine en 1978. La troupe du Théâtre du Soleil sur grand écran pendant 4h20, avec Philippe Caubère dans le rôle titre. Pour avoir entendu Caubère raconter le tournage de Molière dans une de ses improvisations, au Festival d'Avignon, je suis très curieux de découvrir ce film, et l'ironie est grande d'effectuer cette découverte dans une ville que je suis loin d'associer à mes plus grands souvenirs cinéphiles.

La salle du Black Box est mignonne, une douzaine de rangées étirées devant un écran, un orgue et un piano, et nous sommes 17 spectateurs ce dimanche. Je n'écoute pas les paroles d'introductions prononcées en allemand, puis le DVD est lancé. Joie d'une séance cinéphile en Allemagne, excitation de voir ce fameux "Molière", prudence face à la durée de plus de 4h, goût rarement prononcé pour les reconstitutions en costume : force est de constater que j'ai eu du mal à rentrer pleinement dans ce Molière tant attendu depuis jeudi dernier. La première heure m'a paru longue, plutôt agréablement filmée, mais sans véritable folie de jeu, d'approche, de point de vue, de reconstitution. Un gamin de dix ans marchant dans la boue, lançant des pommes à des fiacres ou glissant des boucles dans ses boucles pour être cajolé par sa mère : c'est autre chose qu'un blockbuster ou qu'un DVD sur ordinateur, mais encore ?

Mais il est également agréable de laisser un film gagner peu à peu son estime, et une splendide scène de carnaval a entamé ce travail de conquête. Quelques minutes auparavant, une poignée de dévots costumés à moustache discutaient longuement dans un bureau et je soupirait, mais là, voici toute une foule de masques, de cris, d'énergie, une caméra qui flotte doucement et une folie communicative, une beauté troublante, et de magnifiques insertions symboliques, comme cette énorme charrette remplie de branches enflammées, qui sème ses douces flammettes sur le chemin en Petit Poucet embrasé. Voici l'enthousiasme du Théâtre du Soleil, voici sa vie.

Dès lors, la suite a été de plus en plus agréable, les passages les plus narratifs faisant progressivement sens à mes yeux, moins utilitaires, et surtout, une magnifique collection de grands moments s'est construite peu à peu, entre trouvailles visuelles et superbes instants de théâtre. Des acteurs perchés sur une scène qui flotte sur la prairie, emportée par le vent. Un Molière masqué et bouffon seule en scène, face au roi. Une douce répétition du Tartuffe, comme un tête-à-tête, où Molière fait entendre délicatement la langue qu'il assemble. Un mariage arrangé célébré à l'église, dont la différence d'age et la violence sourde touchent terriblement. Un repas bruyant, enjoué, chahuteur, et qu'une parole suffit à rendre silencieux et grave. Et surtout, la mort de Molière va longuement flotter dans ma mémoire par sa construction géniale, montée d'escalier entrelacée en boucle avec des souvenirs, instant dilaté par les comédiens qui finissent par courir sur place.

Ainsi, cette après-midi, par-delà ma découverte d'un cinéma sympathique à Düsseldorf, j'ai eu la joie d'assister à une déclaration d'amour au théâtre, doublée d'une belle déclaration d'intention : faire du théâtre un reflet de son époque, un engagement jusque dans la forme. J'aurai pu plus mal tomber, pour un premier Filmkunstkino, non ?

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