2009/06/27

Ottawa, capitale canadienne des book clubs

- Moi, je n'ai pas du tout aimé ce livre. Je l'ai trouvé assez faible. Plutôt convenu dans son projet d'écriture : regardez, je suis un blanc d'une cinquantaine d'années, et j'écris du point de vue d'un aborigène de 13 ans... Et puis, dans l'ensemble, le livre manque terriblement de cohérence, une juxtaposition de scènes bizarres, en utilisant le prétexte de la magie, du point de vue enfantin. Mais aucun véritable fil narratif ne se détache. J'ai trouvé assez incroyable que le livre soit nommé pour le Booker Prize.


Silence, un ange passe dans le Tea Party, le coffee shop du Marché By ; regards féminins vers la silhouette brune et barbue qui n'a pas aimé "Mr Pip" de Lloyd Jones. Il sourit, amusé, et elles le regardent toujours, glacées par un avis si définitif, argumenté mais négatif ; est-on encore vraiment dans l'esprit d'un book club, de la discussion autour d'un livre, de l'égrainage des thèmes tel que la chef de cérémonie avait l'intention de le faire ?

D'autant que, même mitigés, les avis féminins présents ne sont pas sévères, appréciant plutôt la variété des thèmes abordés, ces thèmes ambitieux, comme cette présentation originale du professeur, un peu magicien, un peu littéraire, introduisant un roman de Dickens dans une société aborigène. La barbe éclate de rire.

- Rappelons tout de même que Great Expectations est un roman assez peu subtile de Dickens, qu'il n'y a aucun thème vraiment caché, comme peut le laisser supposer le livre Mr Pip. Et puis, soyons honnête, le personnage du professeur est loin d'être une figure positive. Il faut tout de même garder à l'esprit qu'en enseignant Dickens et d'autres thématiques occidentales, il est en train d'effacer insidieusement la culture aborigène, de couper les jeunes de leurs traditions.

- Je ne suis pas d'accord avec cette question de culture et de tradition dans l'éducation. Je pense qu'une bonne éducation doit respecter l'individualité de l'enfant, lui laisser la possibilité de faire ses propres choix. De ne surtout pas lui imposer ses goûts. Par exemple, dans le cas de mon fils, je suis très religieuse, et lui est profondément athée, je respect parfaitement son opinion. Il veut travailler dans l'armée, et je suis pacifiste. Je respecte. Le devoir d'un parent, c'est d'aider ses enfant à grandir en tant que personne.

Oui, ce singulier book club met en présence deux populations assez incompatibles ; trois étudiants aux affinités plutôt alternatives, et quatre mères de familles. Mais avouons-le, elles ont joué carte sur table : ce club leur permet de discuter de livres certes, mais surtout de passer une bonne soirée entre amies, de sortir un peu de leur quotidien, maisons en banlieue d'Ottawa, collègues ne lisant que des magazines, tu penses, sur un chantier ; travail parfois abrutissant. Une seule s'est avouée pleinement satisfaite de son métier et de ses caractéristiques créatives, son activité de design de produits de tous genres ; oui, le design, pas comme créatrice indépendante, mais pour une société, pour le discounter Tigre Géant. Il n'y a aucun mal à chercher le bavardage littéraire, l'échange sur un thème précis du livre, la discussion sur un point peu clair de l'intrigue, un peu de socialisation par la lecture.

Les étudiants restent silencieux maintenant, en sirotant leur thé glacé, le meilleur de la ville. Peu de débat esthétique à espérer, de controverse sur les vertus stylistiques de la déconstruction ou d'un tracé post-moderne du roman, sur les livres infinitésimaux ; au fait, as-tu préféré l'Etranger ou la Peste de Camus ? La Peste m'a semblé plus sec, mais original, trop théorique et idéaliste. Le plus simple serait assurément de quitter la réunion et bavarder littérature entre étudiants, autour d'une bière ; il faut savoir reconnaître les limites de la mixité sociale et du brassage d'origines.

- Vous connaissez la nouvelle ? Michael Jackson vient tout juste de mourrir !

Une retardataire vient de débarquer dans le Tea Party ; blonde, fortement bien en chaire, tatouages floraux sur les bras et au dessus de son décolleté. Quelle tristesse, ce décès ; toutes les boutiques du centre commercial diffusaient déjà les chasons du King of Pop. Elle extrait quelques livres de son sac, Good Omen de Gaiman & Pratchett, le comic Sandman ; hé oui, nous tentons d'être éclectiques, de ne pas nous restreindre à la grande littérature. Certes, Gatsby était excellent, lors d'une précédente séance, mais nous lisons aussi des livres pour enfant parfois, et puis Twilight, comme c'est beau. D'ailleurs, quel livre pourrait-on choisir pour le mois d'août ? Oh, oui, Lolita pourrait être une excellente idée.

Le barbu sourit de sa propre proposition. Livre excellent et fascinant, et sur lequel il serait certainement amusant d'entendre les commentaires de jeunes mères de famille.

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