2008/10/10

La guerre pour le bien-être se gagne par la transe et le cinéma

Atteindre le bonheur est une guerre dans laquelle il faut savoir prendre le glaive entre deux moments de repos.

Fil directeur singulier pour ce nouveau film de Bertrand Bonello, De la guerre, film lui-même très singulier. On en sort étonné, pas totalement satisfait par l'instabilité du film, mais gardant en mémoire toute une collection de scènes fascinantes.

A commencer par l'installation. Le personnage principal du film s'appelle Bertrand Bonello, cinéaste, et il effectue des recherches pour son nouveau script, centré autour de la mort. Il erre donc entre les tombes présentées dans un magasin de pompes funèbres, obtient le droit d'y rester en soirée pour s'imprégner de l'ambiance. Il passera finalement, par accident, la nuit dans un cercueil, expérience qui l'obsède encore et encore.

Le magnétisme personnel de Matthieu Amalric joue déjà à plein.

Planant, tâtonnant, il se retrouve alors dans une sorte de secte dénommée le Royaume, une communauté dans un grand château en campagne. "Ici, quand on ne jouit pas, on se repose", et il va peu à peu participer aux expériences organisées par Asia Argento et Guillaume Depardieu, ait d'entraînements en treillis dans le sable, de lectures érotiques, de chants, de danse, de discussions : toute la lutte pour parvenir au bonheur et au bien-être.

Le réalisateur ne fait pleinement participer à cette lutte à travers des scènes intenses, de purs moments de transes cinématographiques. Moments de musiques concrètes allongés dans la forêt. Gros plans sur des portraits de chefs amérindiens, sur un tirage immense d'Asia Argento, aux grains énormes et rugueux. Une longue danse de groupe dans la forêt, étirée durant toute la tombée de la nuit, entre des éclats de miroirs suspendus aux branches des arbres : immense moment de cinéma brut qui en appelle au sens, l'admiration de l'investissement des corps ondulant et de la mise en scène puissante.

Bertrand est musicien et compose ses plans avec une fluidité enivrante, maniant le travelling comme un faisceau de notes glissant sur une portée, laissant les comédiens s'approprier pleinement l'ambiance. Toutes ces présences s'affichent magnifiques, Amalric, Argento, Depardieu, Clotilde Helme, Léa Seydoux, Laurent Lucas, tous évoluent avec une étrange justesse entre les surgissements de notes et d'impressions posées sur l'écran.

Bien entendu, difficile de parvenir à un équilibre parfait avec une telle ambition, et les scènes sont parfois difficiles à appréhender et à s'approprier. Certaines restent insaisissables, telle cette longue errance de Matthieu Amalric dans les bois, le visage peint, une machette à la main, rejouant Apocalypse Now tout seul au coeur de la campagne française.

Au milieu du film, de retour du Royaume, Amalric retrouve sa compagne. Il lui explique qu'il veut vivre avec elle, mais pas comme un couple normal, plutôt dans une recherche permanente de la beauté, du rare et de l'intense, de l'unique, même en allant faire les courses au supermarché. Clotilde Helme lui répond que cela ne la dérange pas d'aller faire les courses en couple comme tout le monde, que cette banalité à deux, elle la trouverait belle.

On peut justement reprocher à Bertrand Bonello de viser presque en permanence au sublime, de tisser sans cesse des plans magnifiques entremêlés de références, au risque de perdre le fil de ses ambitions, de perdre le spectateur. Mais cette recherche est sa guerre personnelle, sa lutte pour atteindre l'accomplissement : ni le bien-être ni la beauté ne sont faciles, alors il faut savoir suivre l'étendard de ce général ambitieux et se réjouir des petites victoires sublimes qu'il sait distiller.

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