2008/09/20

Lupus, quand la bande dessinée de science-fiction se fait roman graphique


Lupus et son ami atterrissent sur une nouvelle planète, prometteuse pour ses parties de pêche gigantesques et ses réserves généreuses de drogues hallucinogènes. Leur errance sabatique de fin d'étude devrait donc connaître une nouvelle belle étape, repoussant un peu plus encore le début d'une vie sérieuse d'adulte...


Des planètes enchaînées comme des perles, au folklore coloré et aux noms étranges, voici toute la richesse d'un bon space-opéra, et toute sa limite également, sa source de déjà-vu et son cache-misère : ces décors résonnent souvent comme un mélange de carnavalle et de vieux décors hollywoodiens, la vieille ruse de joeur le dépaysement pour masquer la faiblesse des récits. Difficile de ne pas songer à ces tics et ces facilités en parcourant les premières pages de Lupus, la bande dessinée de Frederik Peeters, car s'avance une nouvelle planète, des vaisseaux, des monstres marins mythiques, une jeune fille sans épaisseur croisée dans un bar : aïe, de la science-fiction convenue et paresseuse.

Mais comme souvent, dans ces cas-là, il suffit de quelques détails pour attirer la sympathie du lecteur. Ici, le bob et les chemises à fleurs portées par les deux accolytes. Echos évidents des déambulations hallucinées et gonzo de Hunter S. Thompson et son Fear & Loathing in Las Vegas. Voilà qui promet un peu de fraîcheur de la soupe quotidienne de la SF.

Mais l'originalité de Lupus dépasse vite ce simple bob, de par la belle maîtrise graphique affichée par Frédérik Peeters. Les cases étale leurs scènes dans un noir et blanc strict, mais dont les nuances deviennent rapidement fascinantes. Le trait se fait charbonneux, de longs aplats noirs, des raies instables, et soudain de grands espaces clairs et blancs, toute une gallerie de lumières et d'ombres se voient convoquées avec brio, installant une atmosphère profonde et riche, intriguante. Une sorte de film noir brillant et ambitieux, dosant réalisme et fantaisie futuriste, avec en particulier un magnifique sens du cadre.

Un couteau, une pelure de pomme de terre ou quelque lit vide, un soleil juteux et pesant dans un immense espace blanc. Peeters joue magnifiquement des cadres et des gros plans sur le décor, plantant parfaitement une atmosphère d'attente et d'errance, sensible dans les détails matériels les plus triviaux, posés dans des cases silencieuses à la puissance surprenante. Peeters joue de sa caméra dessinée avec brio, jusque dans son rapport aux personnages, qui se voient décortiqués dans leur regard ou les parties du corps les moins prévisibles, glissés dans l'élan d'une discussion avec une finesse souvent saisissante.

Car la grande richesse de Lupus tient à son caractère composite, l'équillibre qu'il sait trouver entre pure science fiction et profondeur des personnages. Oubliant ses réserves sur les limites de la Science-Fiction, on se régale des quelques scènes de poursuites ou des jolies idées planètaires, comme cette planète de maison de retraite réservée au troisième âge. Mais le récit n'avance pas seulement dans les voyages et la fuite de ses personnages, il creuse encore et encore leurs états d'âme dans de longues pages statiques, des réminiscences incontrôlées, des souvenirs d'enfance, de longues discussions nocturnes où les personnages s'interrogent sur la vie ou la mort, le rapport à l'enfance, l'importance d'un ami. Ses scènes se voient parfaitement dosées et délicatement supportées par le dessin brillant, et cette profondeur psychologique atteint son apogée dans le quatrième et dernier tome, huis clos immobile où les pages oniriques et surréalistes sont plus nombreuses que les deux ou trois accélérations d'action.

Quatre tomes seulement mais une oeuvre magnifique, dont il n'est possible de servir le pouvoir de suggestion et voyage en quelques lignes seulement. J'y reviendrai donc certainement dans les prochaines semaines, afin de partager au mieux ma découverte : le ravissement de découvrir un roman graphique mature qui ne soit pas autobiographique.

Aucun commentaire: