2007/10/21

J'explore un peu la bande dessinée américaine indie

Je me suis inscrit à la médiathèque il y a six mois environ, et je tente de profiter de cette réserve pour explorer certaines domaines que je méconnais. Et tout particulièrement la bande dessinée, où ma culture ne dépassait pas Tintin, Lucky Luke and co.

Au cours de cette démarche, mon attention se porte souvent sur des auteurs américains récents, que j'aurais envie de décrire comme auteurs de comics indépendants. Pas de super héros ici, de couleurs criardes ou de super pouvoir, mais des passionnés cherchant à exploiter la forme du comics pour décrire des histoires quotidiennes, profondes.

Ma perception du monde des comics est plus que superficielles, mais elle peut être symbolisée par deux images. Tout d'abord, le film American Splendor, tiré de la série de comics d'Harvey Pekar, où il décrit sa vie quotidienne des plus banales. C'est de ce film que j'ai élaboré une sorte de mythe personnelle de la bande dessinée américaine indépendante, autobiographique, part importante de la sous-culture, reflet au plus près de la société américaine. Ce sont des auteurs proches d'une telle définition hypothétique que j'ai cherchés à découvrir.

Mais surtout, dans mon esprit, les comics américains s'associent dans mon esprit à la gigantesque boutique au pied de l'Empire State Building, que j'ai explorée une ou deux fois lors de mon passage à New York. Vitrine surchargée de figurine de Spiderman, des Quatre Fantastiques, étalages sans fin de minces revues à papier glacé et super héros en collants, exemplaires de Superman des années 50 sous blisters, rayonnages et rayonnages et rayonnages au milieu desquels les gens feuillettent le dernier numéro des "Super Pimp", et, parfois, quelques pépites diffusées dans les maisons d'éditions françaises.
Un monde d'une folle variété, qu'il me faudra encore explorer longtemps...

Néanmoins, voici quelques auteurs qui m'ont marqués.

  1. Art Spiegelman

    Maus

    Ouvrage écrit à partir des souvenirs de son père, survivant des camps d'Auschwitz. Le livre tricote les scènes de la guerre avec la description des échanges entre le père et le fils, l'enquête d'Art cherchant à écrire son livre. Le dessin est minimal, minutieux, et porté par une stylisation superbe : les juifs sont dessinés en souris, et les allemands en chats. Profond, touchant, magnifique, et premier comics récompensé par le Prix Pulitzer en 1992.

  2. Craig Thompson

    Blancket

    Un des ouvrages qui m'a longtemps fasciné, quand je le feuilletait en librairie, n'osant pas explorer plus loin ses promesses. Je l'ai finalement commandé en anglais, et sa lecture reste un grand moment de mon année 2007. 400 pages d'autobiographie magnifiquement dessinée, les rapports à l'éducation pieuse d'une campagne américaine, et surtout, le superbe récit d'un premier amour. Le dessin noir et blanc s'étire, suit les émotions de son trait doux, et malgré les quelques maladresses ou clichés, j'ai été profondément touché.

    Un américain en balade
    Carnet de voyage dessiné au jour le jour durant la promotion française de Blancket. Peu voire pas de récit, simplement les sensations du dessinateur découvrant la France, Barcelone, le Maroc. Ses état d'âme, son mal être à se trouver longtemps loin de chez lui, quand un rhume devient source d'inquiétude et de culpabilité. Pas une oeuvre essentielle, mais une belle esquisse de portrait de Craig Thompson, de son état d'esprit découvreur, et bien, sûr, ses magnifiques dessins pleine page.

  3. Charles Burns

    Black Hole
    Encore un ouvrage passionnant, fascinant. Dans les années 70, dans les environ de Seattle, les adolescents se voient touchés par un étrange virus, qui déforment certaines parties de leur corps, façon zombies. Le virus ne se transmets qu'au cours d'un rapport sexuel.
    Mélange habile de références, films de zombie, rêves, vie adolescente entre cours, bières et premiers flirts, oui, l'adolescence comme moment à part, hors de la société. Le dessin est magnifique, en noir et blanc très sombre, et les portraits présentés tracent des figures fortes, des personnages dont on se souvient longuement. Une autre des mes lectures essentielles de l'année.

  4. Joe Sacco

    Joe Sacco est né à Malte, puis a étudié le journalisme aux Etats-Unis. Ses ouvrages d'enquête sur le terrain sont impressionnants, présentés sous forme de bande dessinée.

    Palestine
    Durant l'intifada du début des années 90, Joe Sacco s'est rendu dans la bande de Gaza, avec l'objectif de présenter ce que les média évoquaient à peine, la vie quotidienne des palestiniens. Il présente son enquête au jour le jour, ses rencontres, ses réflexions personnelles. Les portraits sont très forts, servis par un dessin et une mise en page ambitieuse. Quinze plus tard, ce travail reste d'une pertinence rare, même tracé dans une époque où les attentats suicides ne couraient pas les rues du moyen-orient...

    Gorazde
    Quelques années plus tard, Joe Sacco se rend dans l'enclave de Gorazde en Bosnie, juste avant les accords de paix qui mettront fin au conflit avec les serbes. Gorazde a été le cadre d'abominables génocides, et ne survit plus alors que par les convois sporadiques de l'ONU. Là aussi, Joe Sacco rencontre de nombreuses personnes, entremêlant la description du quotidien et les souvenirs de guerre.
    Plus fort encore que la série sur le Palestine, à mon avis, certainement du fait de la cohérence du propos, dans la mesure où l'ouvrage se termine sur les accords de paix. On a donc droit à un récit allant du déclenchement du génocide à l'interruption du conflit, les états d'âme des habitants face à l'incertitude. Les pages présentant les journées de génocides sont d'une puissance rare, une réussite fascinante et abominable, comme le sont toutes les grandes descriptions de confllits.

  5. Seth

    Seth est un auteur canadien passionné par l'histoire des comics, particulièrement par l'âge d'or des années 30 et par les années 50. Il permet d'avoir un léger aperçu du poids culturel des comics.

    Wimbledon Green
    Wimbledon Green est le plus grand collectionneur de comics au monde, et il recherche les pièces rares, lutte effrénée avec ses concurrents collectionneurs.
    Petit ouvrage étrange, constitué de minuscules dessins tirés directement des carnets de Seth, qui ne pensait pas les publier initialement. Portrait caricaturaux, comics mythiques inventés de toute pièce, récits burlesque de course aux originaux perdus, le livre est une fascinante succession de petites vignettes, dont la construction s'avère plutôt travaillée et ambitieuse : la majeure partie de l'histoire se voit contée sous la forme de témoignages des différents collectionneurs, témoignages souvent contradictoires et présentés en minuscules cases qui ne montrent que le visage du témoin, quasiment fixe sur une page entière...

    Le commis voyageur
    Un vieux commis raconte les mésaventures de son frère dans l'entreprise familiale, vendant des ventilateurs. Fort sentiment du temps qui passe, d'une époque révolue au pays des airs conditionnés rois, et, là encore, une passion pour la collection. Ici, des cartes des années 30, présentant des paysans avec des légumes géants, truquages photos dérisoires. L'écriture et la conduite du récit sont fines, le dessin léger et riche comme sait l'être la ligne claire, et la sourde mélancolie se diffuse délicatement. Vivement la parution du tome 2...

  6. Daniel Clowes

    Ghost World
    Série d'histoires présentant le quotidien désoeuvré d'adolescentes américaines dans une ville perdue. L'importance essentielle du look, les inquiétudes sur les premières histoires d'amour qui n'arrivent pas, les parents qui poussent pour entrer dans un grand lycée, et tout cela traduit dans de longues discussions entre filles : ce comics s'avère très riche, et fut transcrit à l'écran avec succès. Un jalon important de la bande dessinée indépendante américaine, semble-t-il, et un très beau roman d'initiation moderne.

  7. Jaime Hernandez

    Locas
    Histoire d'adolescentes américaines parues dans le fanzine "Love and rockets". Là aussi, une peinture fine du quotidien désuet entre filles, l'envie de s'acheter des bottes à $50 avant que la rivale le fasse, les dialogues essentiels et dérisoires. Mais les histoires se construisent ici avec une fantaisie folle, un profond sens parodique, convoquant des super héros, des personnages à cornes, des journalistes sorties de films noirs des années 50.

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